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La burqa & la loi

27 janvier 2010

On peut penser que la burqa comme le niqab constituent une atteinte à la dignité de la femme. Il est beaucoup moins certain qu’une loi soit nécessaire ou même simplement utile à limiter cette pratique un peu plus que vestimentaire. Le débat difficile autour de la burqa est dangereux notamment parce qu’il renforce le sentiment anti-musulman, en particulier, et anti-religieux en général remettant en cause le projet d’une laïcité positive respectueuse de la liberté religieuse. Il est dangereux aussi parce qu’il pourrait mettre la République en contradiction avec elle-même :

La question du voile intégral est un concentré des contradictions qui traversent notre société (B. Mathieu, audition)

La première question est celle du fondement d’une intervention législative. Comment fonder l’intervention du Parlement sur la question de la burqa ? Sans doute d’un point de vue constitutionnel, le Parlement n’a besoin d’aucun autre fondement que l’article 34 de la Constitution. Cependant dans la mesure où la question touche aux droits fondamentaux, il faut aller un peu plus loin. Il y a là une nécessité politique autant, voire plus, que juridique.

La laïcité est impuissante à fonder l’interdiction voire la simple limitation du port de la burqa dans l’espace public. Elle ne peut conduire à une telle restriction de la liberté et se heurte à la question de la signification authentiquement religieuse de la pratique. Quant à la dignité, son ambiguïté dans la conception actuelle rend extrêmement difficile d’y voir un fondement efficace pour limiter ce qui est revendiqué comme une liberté. Les juristes auditionnés par la mission parlementaire s’accordent davantage sur la notion d’ordre public. Cependant, il faut bien reconnaître que cette notion n’est pas aussi facile à manier que l’on veut bien le prétendre, surtout lorsqu’il s’agit d’apporter une limite générale, comme l’est la loi, à une liberté. La piste envisagée par Bertrand Mathieu peut toutefois paraître séduisante. Elle consiste à reconnaître à chacun le droit d’identifier la personne avec laquelle elle entre en relation dans la sphère publique : le commerçant qui reçoit un paiement par carte ou chèque, la directrice d’école qui remet un enfant à une personne à la sortie de la classe… Il faut alors reconnaître que l’interdiction ne peut être que limitée. Par exemple, il semble impossible d’interdire le port de la burqa dans les transports.

Au-delà des difficultés techniques, dont la pitoyable tentative de Jean-François Copé est une illustration, il faut se demander si l’interdiction de la burqa ne mettrait pas la République en contradiction avec elle-même, avec les valeurs qu’elle prétend défendre. L’apparition même de la question de la burqa peut surprendre. Nombreux sont ceux qui pensaient que le sort des signes religieux était définitivement réglé notamment par la loi n° 2004-228 sur les signes religieux à l’école. Il n’en a rien été. Le voile intégral qui dissimule parfois jusqu’au regard de la personne n’a semble-t-il jamais été connu en occident à la différence des divers foulards cachant les cheveux. La tolérance que l’on a su manifester à l’égard du hidjab constitue finalement plus un échec d’une forme d’islamisme que la faiblesse de la laïcité républicaine. Il fallait alors passer à la vitesse supérieure. En réalité, le port de la burqa n’est d’ailleurs pas une prescription religieuse :

La très grande majorité des savants et courants sunnites et chiites estiment que la burqa ou le niqab ne sont pas une prescription islamique. Le consensus parmi les savants est que le foulard en est une mais pas le niqab et la burqa (Tariq Ramadan, audition).

Il y a dans le développement, limité faut-il le rappeler, de la burqa une forme de radicalisation d’une partie des musulmans et des musulmanes (notamment de la part des converties de fraiche date). Une réaction forte du législateur français pourrait apparaître excessive. Il y a là une forme de contradiction insoluble sur le terrain purement politique. En effet, le port de la burqa peut apparaître comme une provocation appelant une réaction. Cependant, cette réaction peut être disproportionnée et toucher non seulement les comportements que l’on voulait proscrire mais aussi avoir des effets négatifs non contrôlés (stigmatisation des musulmans de France, sentiment anti-religieux…). La République se sent poussée à réagir fortement au risque de limiter les libertés en contradiction avec ses valeurs. Le recours à la notion d’ordre public me semble de ce point de vue être une forme d’aveu de faiblesse. Elle est la bonne à tout faire d’un pouvoir qui ne sait pas très bien ce qu’il défend. En réponse, le risque est de voir se renforcer le radicalisme que l’on prétendait éradiquer.

Si cet enchainement était voulu par les promoteurs de la burqa, il s’agirait alors d’une forme de terrorisme intellectuel. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se faire d’illusion sur la portée d’une éventuelle loi. La question de la burqa est une question culturelle, elle porte sur les valeurs partagées au sein de la société française. Le débat sur l’identité nationale fait apparaître la faiblesse culturelle de la France d’aujourd’hui. La loi ne sera rien si l’on ne comble pas la vacuité culturelle qui nous frappe. La peur  commune de l’Islam est caractéristique d’un trouble identitaire. Sans être islamophile, on peut regretter d’entendre dire que ce qui fait l’identité nationale est le rejet de l’Islam. Si l’on veut être authentiquement tolérant tout en défendant la dignité de la personne humaine, il faut avoir quelque chose à défendre.

Quasiment tout le monde est d’accord sur le constat fondamental : la burqa et ses variantes les plus couvrantes constituent une atteinte à la dignité de la femme. Certes, on peut entendre certains arguments en défense avançant notamment que face à une société un peu obsédée, ces voiles intégraux sont une protection pour la femme.

11 commentaires leave one →
  1. pourquoisecompliquerlavie permalink
    27 janvier 2010 20 h 49 mi

    « La question de la burqa est une question culturelle, elle porte sur les valeurs partagées au sein de la société française. »

    NON : la question de la burqa est une question de liberté de s’habiller comme on veut. Pour les femmes. Instaurer les vêtements de quelques femmes en porte drapeau de « valeurs partagées au sein de la société française » est injuste pour ces femmes qui ne veulent pas être vues et c’est faire trop d’honneur à ces femmes que leur psychologie probablement fragile porte à un extrêmisme de même nature que celles qui se font lourdement tatouer. Ceci étant, dans le genre, femmes qui s’emprisonnent volontairement, les carmélites ne sont pas mal non plus….

    Pour ce qui est des « valeurs partagées », je pense que les boubous africains, les robes des musulmans, les keffiehs, etc. n’en font pas plus partie que les burqas.

    La phrase qui serait plus exacte est « Le rejet de la burqa est une question culturelle, il porte sur des valeurs partagées au sein de la société française. »

    Mais ce n’est même pas vrai !

    Je pense que des gens aux convictions moyennes pour lesquelles ils ne sont pas prêts à consacrer leur vie, sont en réalité gênés par d’autres qui affirment publiquement la force de leurs convictions.

    PS : même si la France avait qqch à défendre, (cf. Christine Boutin), je ne vois pas en quoi cela pourrait convaincre ces femmes de ne plus s’emburqater. Dans leur croyance, ce ne sont pas les seins des autres qui les prive de leur paradis, c’est le fait d’être vues par d’autres !

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  2. 27 janvier 2010 21 h 12 mi

    Mon propos portait plus sur le risque qu’il y a à intervenir sur cette question. Sur la comparaison avec le boubou et d’autres habitudes vestimentaires, je ne suis pas d’accord. Je ne veux pas faire de la psychologie à 2€ mais l’effacement du visage est un acte d’une extrême gravité symbolique. Le Hijab par exemple n’a pas du tout la même portée (même si lui seul peut avoir une authentique signification religieuse semble-t-il). Le visage est constitutif de la personne.
    Quant à la liberté vestimentaire, pourquoi pas mais il y a toujours une part de culturel dans le vêtement. Si la burqa nous gêne, il n’est pas illégitime de tenter d’en limiter le développement mais je pense que ce n’est que sur le terrain culturel (ou social si l’on veut) que l’on y parviendra, pas par la loi. Peut-être peut-on aussi se demander ce qui poussent certaines femmes à se dissimuler ainsi aux regards… notre société serait-elle un peu obsédée?
    Sur ce que la France peut défendre, je veux simplement dire que l’on ne peut être tolérant que si l’on sait qui l’on est. A défaut, ce n’est que du relativisme ou du laïcisme bref rien de vraiment substantiel.

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  3. pourquoisecompliquerlavie permalink
    27 janvier 2010 21 h 34 mi

    Sur ce coup là, je suis d’accord avec vous : ce n’est pas par une loi que l’on convaincra ces femmes de s’habiller autrement.

    Je suis aussi d’accord sur le fait que l’essentiel des français d’aujourd’hui n’ont rien de substanciel à se mettre ni dans la tête ni dans le coeur. Ils ont essentiellement un sentiment (avoir peur … de tout) et un objectif : avoir du plaisir, c’est-à-dire satisfaire aussi vite que possible leurs envies, les unes après les autres, sans se préoccuper des dégâts (ils font ce qu’ils ressentent, donc ils sont honnêtes).

    Ceci étant, chacun étant appelé à la sainteté en fonction des talents qu’il a reçus, la miséricorde divine étant infinie et Dieu nous ayant laissé le libre arbitre, je ne suis pas convaincue que ce que nous nous disons maintenant s’applique à tous…. Je crains que les idéalistes d’un monde parfait ne rêvent d’un projet de Dieu qui n’est peut-être pas le sien.

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  4. 28 janvier 2010 1 h 07 mi

    AzUL (salut en thamazight),

    citation : «La très grande majorité des savants et courants sunnites et chiites estiment que la burqa ou le niqab ne sont pas une prescription islamique. Le consensus parmi les savants est que le foulard en est une mais pas le niqab et la burqa (Tariq Ramadan, audition).»

    Tariq Ramadan et d’autres arabes de salon n’arrêtent pas de avancer ça, mais c’est complètement erronée!!

    selon la majorité des grandes savants musulmans qui se basent sur l’islam de Coran et Sunnah comme sources, le voile intégrale ou la femme cache son visage est une obligation prescrit selon des preuves de Coran et sunnah qui sont ostentatoires et claires.

    Massin,

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  5. 28 janvier 2010 18 h 10 mi

    Massin,

    Non, la majorité des savants musulmans ne considèrent pas obligatoire le fait de se couvrir le visage. En revanche, tous s’accordent à dire que le voile intégral a bien un fondement religieux. Il y a divergence sur le caractère obligatoire et non sur la nature religieuse de cette pratique, quand bien même d’aucuns affirment le contraire.

    NM,

    Je ne pense pas que vous fassiez de la psychologie à 2 euros, mais plutôt de l’ethnocentrisme candide. Votre propos ne vaut que si l’on considère la personne à travers son extériorité, plus particulièrement son visage. Il n’y a dépersonnalisation que si l’on prend pour postulat de départ que la personne n’est au monde que si et seulement si on peut l’identifier. Cela peut s’entendre dans une conception comme la nôtre où le paraître devance (ou accompagne) l’être. Mais ce n’est plus vrai si l’identification n’est pas une condition sine qua non de l’identité. L’a-t-elle toujours été ? Jetez un oeil dans toute la littérature sur l’individu (et la personne). Sans espérer évidemment trouver une réponse définitive :).

    Dans une société où l’intime est devenue chose publique, il est insupportable de ne pas se donner aux autres. Plus difficile encore de concevoir une autre façon d’être au monde, d’être aux autres, une autre « phénoménologie de la rencontre », comme disait Frantz Fanon. Mais là nous touchons à beaucoup plus profond : l’immense difficulté à accepter un tout autre mode de pensée (ce mal bien français…).

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  6. 29 janvier 2010 9 h 16 mi

    @ Al-Kanz ethnocentrisme? oui… naïf, je ne pense pas.

    Il doit bien y avoir une juste mesure entre les adolescentes (parfois attardées) ‘au look érotomane’ (P de Plunkett) et l’ensevelissement dépersonnalisant. Le visage n’est pas une partie intime du corps. Il est ce qui permet la communication (verbale ou non).

    Il ne s’agit même pas, non plus d’identification (ça c’est la logique de l’ordre public que je trouve réductrice et un peu dangereuse). Il pensée de type personnaliste voit dans la dissimulation du visage une forme de négation de la personne (on a beaucoup cité Levinas).

    On pourra objecter, à nouveau, qu’il s’agit d’une pensée d’inspiration chrétienne (pour moi ce n’est évidemment pas une objection) mais il me semble avoir entendu parler d’un personnalisme musulman. Je ne pense pas que sa position à l’égard de la burqa soit très éloignée d’une opinion inspirée par le christianisme.

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  7. mfc permalink
    6 février 2010 3 h 10 mi

    Enfin un article d’un professeur de droit privé qui traite la problèmatique du port du voile intégral en france.
    Enfin un article qui nous fait oublier un peu le discours raciste de certains hommes politiques de l’extrême gauche à l’extrême droite tout en passant par quelques réflexions idiotes de certaines ratées de la société occidentale rassemblées au sein d’une entreprise assez originale Ni Putes Ni soumises.
    Il s’agit d’une approche juridique relativement neutre qui rejoint en quelque sorte l’audition d’un haut magsitrat de la cour de cassation entendu par la mission d’information de l’assemblée nationale.
    A noter que selon la majorité des savants musulmans, le port du voile intégral n’est pas pas une prescription islamique, c’est aussi l’avis du professeur T Ramadan l’une des 100 personnalités les plus influentes au monde.
    Il s’agit d’une pratique développée dans certains pays musulmans, l’afghanistan, le pakistan..
    A mons avis on pourrait faire un certain rapprochement entre le port du voile intégral et la virginité, il s’agit de deux notions qui ne sont pas prescrites par la religion musulmane, néanmoins elles sont développés dans Certains pays musulmans.

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  8. 15 juillet 2010 17 h 42 mi

    Tout simplement, pour dire notre désaccord, commençons par faire une loi !! c’est aussi simple que cela.Elle sera peut être difficile à faire appliquer : mais au moins elle a le mérite d’exister ! Que diriez-vous des limitations de vitesse sur la’autoroute, sous prétexte qu’il ya des gens qui ne les respectent pas, on supprime les limitations ?? c’est prendre le problème à l’envers.

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