Aller au contenu principal

Mariage ou mariage ?

29 janvier 2011

Un juriste romain, sans doute influencé par le christianisme, définissait le mariage comme « une société de toute une vie, une communauté de droit divin et humain » (Modestin). Aujourd’hui, plus personne n’oserait se lancer dans une telle aventure tant il est évident qu’ici plus comme ailleurs toute définition est périlleuse. Pourtant, deux évènements récents devraient inviter à s’interroger à nouveau sur le mariage. Lors de la rentrée de la Rote, Benoît XVI a poursuivi la réflexion engagée depuis plusieurs année notamment par Jean-Paul II sur le mariage et les liens entre droit et pastoral (ici). Plus près de nous, le Conseil constitutionnel a répondu à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe.

Le pape rappelle dans son discours la nécessité d’une sérieuse préparation au mariage. Si elle apparaît souvent insuffisante, il ne faut pas oublier que c’est déjà beaucoup mieux que par le passé. Benoît XVI insiste notamment sur la nécessité d’intégrer la dimension juridique du mariage dans la préparation en allant au-delà de la simple vérification des obstacles à la célébration. Citant Jean-Paul II, le pape rejette l’idée d’une contradiction entre pastorale et droit :

it is not true that, to be more pastoral, the law should be less juridical” (Discours à la Rote, 18 janv. 1990, n° 4)

Le mariage chrétien est exigent et il n’est pas impossible qu’une part importante des mariages célébrés à l’Eglise soit annulable. L’imperfection du mariage n’est toutefois pas une raison pour refuser sa célébration. Citant à nouveau Jean-Paul II, Benoit XVI rappelle que

L’Eglise ne refuse pas la célébration des noces à qui est bene dispositus, même si imparfaitement préparé du point de vue surnaturel, du moment qu’il a l’intention honnête de se marier selon la réalité naturelle de la conjugalité. On ne peut pas présenter, à côté du mariage naturel, un autre modèle de mariage chrétien ayant des qualités surnaturelles spécifiques (V. Discours à la Rote, 30 janv. 2003, n° 8).

Il reste que la préparation au mariage doit permettre de déceler les éventuelles causes de nullité du mariage. Au besoin, il faudra refuser la célébration. Autrement dit, si la préparation au mariage est une occasion pastorale qui peut être la dernière avant que les époux oublient l’existence de l’Eglise jusqu’à la naissance de leurs enfants (et encore), il n’y a pas de droit absolu au mariage :

The right to contract marriage presupposes that there is a true possibility and intention to celebrate it, hence the truth of its essence as the Church teaches. No one can claim the right to a nuptial ceremony. Indeed the ius connubii refers to the right to celebrate an authentic marriage (Discours à la Rote, 22 janv. 2011)

Plutôt que de garder la trace d’éléments pouvant étayer une éventuelle demande en nullité dans le dossier des époux, il semble plus franc de refuser la célébration du mariage. Le mariage n’est donc pas un droit absolu auquel on peut prétendre accéder par le seul effet de la volonté. Il correspond à une institution naturelle image de l’alliance de Dieu avec l’humanité. Evidemment, l’indissolubilité et d’autres aspects du mariage dit chrétien peuvent paraître peu naturels dans la mesure où ils se heurtent aux penchants communs des hommes et des femmes. Sans doute, l’institution familiale a-t-elle évoluée dans le temps et varie-t-elle dans l’espace. Il reste que l’union de l’homme et de la femme est une institution aimée de Dieu qui offre un chemin vers la communion avec notre Créateur.

En regard de cette conception naturaliste et jusnaturaliste du mariage, la conception civile du mariage paraît sans doute assez fade. On pourrait même être tenté de considérer que le mariage civil n’est déjà plus un véritable mariage. Faut-il pour autant en abandonner la défense ? Faut-il en laisser la définition à la seule compétence du droit positif ? Au-delà de la réponse apportée à la question de l’admission d’un prétendu mariage entre personnes de même sexe, c’est finalement à cette question que pourrait inviter la décision du Conseil constitutionnel (Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011). Cette décision est intéressante évidemment pour la réponse qu’elle apporte à la question posée par la QPC elle-même. Constatant que le droit civil français interdit effectivement le mariage entre personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel considère que cette interdiction ne porte pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale :

le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale ;

Surtout, le Conseil reconnaît que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le mariage soit écarté entre personnes de même sexe. Le considérant mérite d’être cité in extenso :

le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l’article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté…

D’un point de vue fondamental, le Conseil constitutionnel reconnaît que le principe d’égalité ne s’applique pas ici dans la mesure où les situations sont différentes. Cela peut sembler anodin ou évident mais il s’agit tout de même d’une observation essentielle : les couples de sexes différents et les couples des même sexe ne sont pas dans la même situation. Et cette différence de situation, notamment liée à la possibilité de procréer naturellement, autorise une différence de traitement au plan civil au regard de l’accès au mariage. Il n’y a donc ici aucune forme de discrimination (V. aussi Cour EDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf c. Autriche). D’un point de vue plus politique, le Conseil renvoie au législateur le soin de trancher la question car il admet implicitement mais nécessairement que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne serait pas davantage contraire à la Constitution. Si le législateur devait aller dans ce sens, il serait alors permis de se demander ce que serait cette institution et ce vers quoi conduit une éventuelle reconnaissance ce que l’on appelle, dans une forme d’oxymore, le mariage gay. Le volontarisme législatif permet ainsi de  définir le contour des institutions civiles sans admettre de limites naturelles. C’est une leçon de positivisme que nous donne finalement le Conseil constitutionnel.

 

 

2 commentaires leave one →
  1. 29 janvier 2011 15 h 46 mi

    et en nommant ce qu’est le mariage, l’Eglise définit aussi ce qu’il N’est PAS. et ça, c’est très important aussi.
    et même, ça peut rendre service à toute personne qui cherche à savoir où en est son couple, qu’elle soit mariée ou pas, chrétienne ou pas, car il y a vraiment des pistes de réflexion profondes sur le mariage naturel: liberté, fidélité, indissolubilité, ouverture: en cela , le mariage civil devrait être dépossédé de son nom depuis longtemps en France, car il n’a plus rien des exigences du mariage chrétien. Ou alors, il faudrait que l’Eglise trouve un autre nom, latin par exemple, pour nommer ce qu’elle reconnait comme une union conjugale chrétienne.

    J’aime

Trackbacks

  1. Le droit c’est canon (1) : l’interprétation du droit de l’Eglise « Thomas More

Laisser un commentaire