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Le catholique est-il nécessairement un mauvais citoyen ?

16 octobre 2011

L’engagement politique des catholiques est un devoir et non seulement un droit. C’est d’ailleurs une des formes d’engagement propre aux laïcs dans la mesure où les prêtres, religieuses et religieux ne peuvent pas, canoniquement, avoir de fonctions politiques. Jean-Paul II l’a affirmé sans ambiguïté dans sa grande exhortation apostolique Christifideles laici :

les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la ‘politique’, à savoir à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun (Christifideles laici, n° 42).

Joseph Ratzinger l’a confirmé dans la Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique :

En accomplissant leurs devoirs civils normaux, «guidés par leur conscience chrétienne», selon les valeurs conformes à cette conscience, les fidèles réalisent aussi la tâche qui leur est propre d’animer chrétiennement l’ordre temporel, tout en en respectant la nature et la légitime autonomie, et en coopérant avec les autres citoyens, selon leur compétence spécifique et sous leur propre responsabilité (n° 1).

Le chrétien, et notamment le catholique, n’est donc pas indifférent à la vie de la cité. Il ne peut pas être indifférent. Cependant, Machiavel et Rousseau pensaient que le chrétien était nécessairement un mauvais citoyen et un mauvais soldat. Pour Machiavel, le chrétien manquerait de cet orgueil qui fait le bon citoyen. Rousseau critiquait quant à lui celui qui sait mieux mourir que vaincre… Ces critiques ne portent plus aujourd’hui. La tentation de la sécession, du retrait de ce monde, doit être écartée.

Ce devoir de participation à la vie civique n’impose pas d’adhérer au relativisme qui caractérise une certaine forme de démocratie (et non la démocratie en générale, ni même peut-être la démocratie libérale). Le catholique ne peut souscrire à un volontarisme sans limite, affranchi de toute idée de nature et excluant toute idée d’un bien commun objectif. Dans la note doctrinale de 2002, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a identifié un certain nombre de points non négociables qui peuvent orienter le vote des citoyens et des responsables politiques (Un guide de l’électeur chrétien chez Liberté politique). La légitime autonomie de la sphère temporelle s’impose dès lors que l’État ne porte pas atteinte à la loi naturelle et recherche honnêtement le bien commun. La liberté religieuse, la protection inconditionnelle de la vie humaine, la reconnaissance de la famille fondée sur le mariage et la liberté d’éducation des enfants par les parents sont des points sur lesquels il n’y a pas d’accommodements possibles. En outre, plusieurs orientations fortes sont proposées et parmi elles il faut mentionner la lutte contre la pauvreté et pour le développement intégral et la recherche de la paix.

Au-delà de ces orientations fondamentales, il y a manifestement des styles politiques plus ou moins chrétiens… et l’on peut dire que sur ce point le style de Nicolas Sarkozy est assez éloigné de ce qu’on attendrait d’un homme politique qui assumerait son catholicisme… On comprend dès lors qu’il ait perdu l’électorat catholique. Ses conseillers se font des illusions en pensant qu’il pourra se réconcilier avec lui avant le scrutin présidentiel de 2012.

Les évêques de France ont publié une lettre intitulée Élections : un vote pour quelle société ? Il n’y a rien de bien original sur le fond dans ce document. Il s’agit d’une actualisation des précédentes prises de position des évêques de France. Partant du constat des transformations de la société par le développement technologique, par l’homogénéisation culturelle (si l’on peut dire) et l’affirmation d’un individualisme plus jaloux de ses droits qu’attentif à ses devoirs, la lettre des évêques rappelle que l’exercice du droit de vote est une chose sérieuse. Mais dans le même temps, il nous est rappelé que :

[N]ous ne pouvons pas attendre du pouvoir politique plus qu’il ne peut donner. Élire un président de la république et choisir des représentants ne suffira pas à relever les défis qui se présentent à nous aujourd’hui.

Que faire alors si l’on ne veut pas être un mauvais citoyen tout en n’étant pas trop mauvais catholique. Plus que jamais, le catholique se sent étranger à la vie politique et la tentation est grande de vivre une sorte d’exil à l’intérieur même d’une société qui ne nous aime pas vraiment. L’abstention ou le vote blanc peuvent-il exprimer une forme d’objection de conscience ? Le P. Jean-Miguel Garrigues l’a cru et n’a pas craint de recourir expressément à l’idée d’une « objection de conscience électorale ». Cette attitude a été contestée notamment par F. de Lacoste-Lareymondie :

C’est pourquoi l’abstention et le vote « blanc », même parés des vertus de l’objection de conscience, ne sont finalement qu’un nouvel avatar de l’exil intérieur.

La note des évêques ne nous dit pas pour qui voter mais nous invite sans doute à ne pas prendre le risque d’un tel retrait. Elle fournit des éléments de discernement qui doivent conduire chacun à se prononcer en conscience. Protection de la vie (vie naissante et fin de vie), famille, éducation mais aussi jeunesse et action dans les banlieues ou encore environnement et bien entendu économie (associée à justice d’ailleurs) : les thèmes abordés sont nombreux. A défaut d’être très originales, les orientations esquissées illustrent tout de même un style un peu différent de ce que l’on était accoutumé à entendre. Le propos parait d’abord plus ferme que par le passé ; pas moins ouvert mais affirmé avec plus de netteté. Ensuite, l’influence de la pensée de Benoît XVI se manifeste en plusieurs endroits. Cela n’est pas étonnant mais mérite d’être remarqué car cela donne une cohérence à l’ensemble. La référence au style de vie, au développement intégral et à l’écologie humaine notamment fournissent le cadre dans lequel doivent être recherché, de manière indissociable, protection de la vie et protection de la création, accueil de l’étranger et défense du travailleur. En pratique, chacun aura tendance à se faire son petit classement des « valeurs » à défendre. Sur ce point, la lettre présente peut-être un maladresse en validant cette démarche alors que tout se tient :

À chacun de vous il reviendra aussi de hiérarchiser ces différents points en vue du vote.

Il faut admettre que si l’on cherche le candidat parfait au regard de ces critères, on risque de chercher longtemps. Peut-être faut-il alors aussi se souvenir que le vote n’est pas le seul engagement politique. L’action sociale est un engagement civique, un service sans exercice du pouvoir qu’il faut privilégier lorsque les cadres politiques sont peu favorables. Si le vote reste imparfait, il faut certainement compenser cette imperfection par un surcroit d’action sociale et au sein de l’Église. Sans rêver d’une sécession impossible, il faut reconnaitre les limites, voire l’échec, de l’État et promouvoir des alternatives chrétiennes.

10 commentaires leave one →
  1. 17 octobre 2011 0 h 00 mi

    La tentation de l’exil intérieur est rude, en effet… Et pour l’éviter, pour maintenir la diversité des prismes et des charismes, je ne prends pas la hiérarchisation en vue du vote comme une maladresse. Même si bien entendu, tout se tient. Pour moi, l’accueil de la vie prime ; pour d’autres, l’accueil de l’étranger prime. Si chacun de nous parvenons à faire progresser ces thèmes, nous nous rejoindrons sur la crête, enchantés, et en chantant…
    Entendons-nous bien… je pleurerai si la gauche actuelle passe car le respect de l’embryon, le soutien de la cellule de base qu’est la famille, la dignité de l’homme souffrant devraient faire un bond en arrière. Mais je respecte profondément ceux qui voteront pour cette même gauche dans l’espoir d’atténuer les dysfonctionnements criants que nous connaissons !

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  2. hélios permalink
    17 octobre 2011 14 h 26 mi

    J’ai écouté à midi le Père GOURIER. Tous les lundis, parfois le mardi, il est sur RMC l’émission dite des « GG », « Les grandes Gueules ».
    Il fait, dit-on, église comble à POITIERS. Ce matin il a déclaré prendre part au mouvement des « Indignés », relativement peu développé en France.
    Je n’oublie pas que ce mouvement, en Espagne s’est dressé contre la venue des JMJ à Madrid. Le Père GOURRIER s’est référé à l’Abbé PIERRE. Mais celui-ci que je sache n’a pas appartenu à un parti politique (un doute, à l’instant me vient….).
    Personnellement, je suis choqué par l’engagement proclamé de ce prêtre. Il l’a dit hier dans son sermon sans doute en liaison avec l’Evangile (« Rendez à César…). L’engagement dans la vie politique entraine l’opposition, la lutte parfois très dure. Est-il compatible avec l’attitude chrétienne d’ouverture, de dialogue ? Cette problématique ne date pas d’aujourd’hui.
    Merci de votre attention.Hélios

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  3. 17 octobre 2011 22 h 12 mi

    Au contraire je trouve cette phrase très habile : « À chacun de vous il reviendra aussi de hiérarchiser ces différents points en vue du vote. »

    Cette phrase souligne bien qu’aucun ordre naturel ne pré-existe ici à la conscience humaine : il est aussi inhumain de tuer un enfant que de laisser mourir un clochard ; mais c’est à nous de peser chaque candidat. Et de prier pour le faire avec Sagesse (j’aime la prière de Salomon !).

    Elle a aussi le mérite de la clarté. Pas plus tard qu’il y a dix jours, JM le Méné citait ce texte en soulignant que le respect de la vie venait en premier… il lui a fallu reconnaître que ce n’était que dans l’ordre du texte, vu cette indication préliminaire.

    Et je m’en réjouis (indépendamment de mes propres qui, de fait, tendraient à placer cette question en tête de liste).

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  4. 17 octobre 2011 22 h 24 mi

    Sur la hiérarchie, je comprends en pratique que l’on ne puisse tout faire et que chacun peut s’engager sur des causes limitées (pour notre Vieil Imbécile) et que la conscience soit un lieu de liberté (pour Incarnare). Il reste que l’on aurait pu faire l’économie de la formule.

    Dans le choix électoral, la note doctrinale dite Ratzinger identifie des points non négociables. La protection de la vie (celle de l’embryon comme celle du malade ou celle du clochard je suis d’accord sur ce point) est le premier des biens de l’homme. C’est surtout en faisant des différences entre les êtres humains que l’on se trompe. Mes prises de positions pour la protection de la vie naissante, je les veux en cohérence avec la protection du pauvre et du malade. Sinon, on tombe dans le même travers que ceux qui refusent la protection de l’enfant à naître…

    En revanche, la culture, l’Europe ou les banlieues (pour faire court) ne sont sans doute pas sur le même plan…

    Sur l’engagement des prêtres, il faut qu’il reste raisonnable. Ils ne peuvent se présenter aux élections (pour Hélios). Cela n’a pas toujours été le cas : l’abbé Pierre a été membre du MRP et député pendant un temps…

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  5. Artemis permalink
    18 octobre 2011 9 h 23 mi

    Je m’étonne de ne pas trouver un thème majeur comme critère de discernement dans votre compte-rendu d ela note des évêques: l’Europe. Pourtant Dieu sait qu’elle a été portée sur les fonds baptismaux par l’Eglise dès ses origines et que ce sont des cathos très engagés qui l’ont faite.

    Quant à ne pas trouver de candidat qui réussisse la quadrature du cercle de tous les sujets évoqués, ce n’est pas si sûr. Je crois qu’il y en a une. « Petite » candidate mais qui existe quand même. (Je ne sais pas si je voterai pour elle et je ne l’ai jamais fait mais on ne peut pas faire comme si elle n’existait pas). Pdc

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    • 18 octobre 2011 9 h 53 mi

      L’Europe est mentionnée dans la lettre des évêques. Je n’ai pas tout cité : c’était une invitation à aller lire ce document… Je n’ai pas parlé de la culture par exemple.
      Je ne veux pas donner ici de consigne de vote. Il faut être lucide même à l’égard des candidats les plus « cathofriendly » (ceci dit je partage votre opinion).

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  6. Zept permalink
    24 octobre 2011 15 h 39 mi

    Cher Professeur,
    une fois de plus un excellent billet,
    et une fois de plus beaucoup de désaccords de ma part.
    J’aurais aimé pouvoir creuser le rapport entre démocratie et Eglise en France, au-delà du seul vote. Je n’ai pas l’expertise nécessaire mais n’ai pas plus la certitude que notre Eglise ait toujours vu d’un bon oeil le développement du suffrage universel, porté en France par des républicains révolutionnaires partisans soit d’un certain athéisme, soit par d’une forte autonomie approfondissant le gallicanisme qu’avaient eu la « bonne » idée de développer les rois qui les avaient précédés.
    D’où une méfiance classique largement distillée par une majorité politique en France contre les « consignes de Rome », si je puis dire.
    http://www.nonfiction.fr/article-4986-p1-comment_leglise_catholique_a_t_elle_pu_accepter_la_democratie_liberale_.htm
    Rien à voir historiquement, mais je crois que cette défiance à l’égard de l’Eglise apostolique et romaine a beaucoup été développée par les protestants américains, voyant des papistes comploteurs un peu partout, visiblement soucieux selon eux d’attenter à la liberté religieuse des USA. On en voit quelques resucées dans les films US, d’ailleurs.
    Je me souviens de la reproduction de votre appel non au silence mais au calme pour le traitement des cas de pédophilies dans l’Eglise. J’ai l’intime conviction que la cathophobie qui a alors montré le bout de son nez vient aussi de ce mécanisme collectif de distanciation si français avec « ce qui vient de Rome ». Et repris par les laïcards au début du XXe siècle.
    Ce qui n’en empêche pas la critique, mais biaise un certain nombre d’arguments avancés contre la communauté catholique et son clergé, qui ne sont pas affrontés dans une logique d’amélioration mais d’affaiblissement, au mieux, et parfois de destruction.
    Sinon, j’adhère totalement à votre propos général : être catholique passe par l’intégration dans la société et donc le vote, mais pas seulement. Par ailleurs, c’est aussi adhérer à une réflexion vous dépassant, en tant que simple individu, et cela invite à ne pas se vautrer dans « le client est roi » qui transforme le citoyen en consommateur chaque jour plus avide de droits. Peu importe les équilibres généraux qui président à leurs restrictions. Et au futur que l’on veut s’accorder à soi comme à ceux qui vous suivront, de votre famille ou bien de l’autre côté du globe.
    Cependant, je doute que ce dépassement de l’individu doive aboutir – je ne crois pas d’ailleurs que ce soit jamais suggéré dans votre propos – à une minoration de la réflexion individuelle sur la religion.
    Etre catholique ne dépend pas pour moi d’un pape et de la seule doctrine catholique dont il est sinon le moteur en tout cas la représentation d’un courant dominant. Je respecte totalement la pensée de Monsieur Ratzinger, grand théologien, mais je lui rappelle que j’étais baptisé bien avant Benoit XVI.
    Ce tout petit trait d’esprit bien peu impertinent ne masquera j’espère pas l’idée que je me fais de notre religion. Observer les préceptes religieux amène d’abord de les regarder. Et j’ai la naïveté de croire en un système de croyance où chacun exerce son jugement sur la pertinence de les appliquer.
    Et je laisse à mes coreligionnaires lanceurs de deuxième pierre le qualificatif de mauvais catholique, parce que je suis favorable au droit – réel – d’avorter ou au droit à l’égale protection de l’union des deux personnes, de même sexe le cas échéant, par la loi laïque.
    Qu’ils sachent que je leur accorde ma considération, bien plus qu’aux ex 68arts ravis de jouir de tout tout de suite et de ne rien interdire, histoire de devenir plus tard rois de la publicité ou sénateurs de deuxième zone, et de thésauriser sur la décrépitude des valeurs qui pulvérisent plus pauvres qu’eux. Qu’ils sachent que quelles que soient leurs opinions, je ne les condamne pas à un statut de mauvais catholique.
    J’espère qu’en retour notre rapport à Dieu amènera mes critiques à éviter de manier l’anathème, les regards réprobateurs et une moue dégoutée. Que l’on discute de tout cela ouvertement, avec joie, entrain et vigueur, en réfléchissant où cela peut nous mener. Et en laissant finalement à chacun sa conscience politique, au sens le plus large et noble, celui de la gestion de la cité, à laquelle nous appartenons tous, croyants comme athées.

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    • 24 octobre 2011 20 h 11 mi

      Merci pour ce commentaire long et argumenté (c’était nécessaire tant nos opinions sont éloignées). Au-delà de ce qui nous oppose sur le fond, je retiendrai notamment la référence à une vieille tradition bien française qui trouve sans doute une partie de son origine dans le gallicanisme. Ce courant est plein d’ambiguïté et je pense que vous aurez l’occasion de revenir commenter ici prochainement sur un sujet proche…

      Sinon, ill y a dans votre propos une invitation intéressante à revenir à la relation à Dieu et à une certaine forme de pacification. Je ne vous suis évidemment pas lorsque vous dites qu’il faut exercer une forme d’esprit critique sur la pertinence de suivre certains enseignements de l’Eglise. Il me semble que notre jugement, en conscience, devrait nous conduire à chercher comment les appliquer au mieux.

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  7. Zept permalink
    24 octobre 2011 22 h 51 mi

    Si je peux en effet exercer ma critique sur les enseignements de l’Eglise, c’est je l’espère pour mieux les comprendre, en voir les fins, que je suis le premier à défendre, et leur donner une application raisonnée.
    Vous me trouverez donc de temps en temps, que dis-je assez souvent, pour tenter d’apporter ma pierre à l’édifice ici en construction. C’est en tout cas un bel espace pour la pédagogie de la foi, merci d’aussi bien m’y accueillir.

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