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Pourquoi l’Etat nation n’est pas le gardien du bien commun

20 décembre 2011

Ce n’est pas une question, c’est une affirmation voire une réponse. La formule se trouve en sous-titre d’un article de William Cavanaugh déjà cité (ici en particulier) : Mourir pour la compagnie des téléphones (reproduction dans Migrations du sacré : éd. de L’Homme Nouveau 2010). J’y reviens à l’occasion d’un billet de Charles Vaugirard intitulé Etat : je t’aime et pour saluer en passant le lancement du blog du mouvement des chrétiens indignés. A bien des égards, je suis assez proche des idées des uns et des autres à une réserve près mais de taille pour ce qui est du billet de Charles : le rôle de l’État (étant précisé que les indignés chrétiens n’ont pas de « doctrine » sur le sujet, c’est entendu). J’aimerais discuter, à partir de l’article de Cavanaugh, l’idée centrale du billet de Charles Vaugirard :

L’État est en charge du bien commun, c’est sa vocation, il est là pour ça. Bien sur il n’en a pas le monopole, tout citoyen participe au bien commun, soit individuellement soit par le biais de structures comme des fondations ou des associations. Mais l’État est le garant ultime du bien commun.

1/ L’État n’est pas naturel mais artificiel

Il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on appelle État. Cavanaugh ouvre son article par une analyse de l’État comme création artificielle. En effet, l’État tel que nous le connaissons n’est pas une réalité naturelle, contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire. Il constitue seulement la forme actuelle prise par la communauté politique qui, elle, est  naturelle dans la mesure (limitée) où une société humaine tend à organiser les rapports de pouvoirs en son sein.

Cavanaugh reprend les analyses de certains historiens pour nous rappeler que l’Etat moderne (l’Etat nation) n’existe que depuis le XVIe siècle. Il a surgi dans l’histoire humaine à la faveur de grandes guerres (dont certaines dites de religion alors qu’elles étaient en réalité essentiellement politiques ; la religion étant instrumentalisée par l’Etat). De même, la nécessité de lever l’impôt et en particulier l’impôt permanent est un autre facteur de développement de l’Etat nation tout comme la construction territoriale.

2/ L’Etat n’est pas un produit de la société, c’est lui qui crée la société

Pour Cavanaugh, la nouveauté de l’État nation réside en grande partie dans la notion de souveraineté. La pensée de Hobbes notamment met particulièrement en évidence ce qui nous échappe largement aujourd’hui tant nous y sommes habitués. Mais si l’on revient à Hobbes, il faut reconnaître que le fondement de l’État n’est pas le bien commun mais plutôt un mal commun, partagé par tous : la peur de la mort. C’est le fameux passage de l’état de nature (où l’homme est un loup pour l’homme) à l’état politique (où chacun doit renoncer à prétendre détenir la vérité). L’État hobbesien

n’a pas pour but de réaliser le bien commun, ou telos commun, mais plutôt de libérer l’individu de l’interférence des autres individus afin qu’il puisse poursuivre paisiblement ses propres fins.

C’est d’ailleurs pour cela que le monstre de souveraineté décrit par Hobbes est en même temps à l’origine du libéralisme politique moderne. Cela sera évidemment plus visible avec Locke un peu plus tard. Dans cette conception, il n’existe naturellement plus rien entre l’Etat et l’individu dans la mesure où

l’État nation se présente comme une façon de réconcilier la multitude dans l’unité, e pluribus unum.

L’État n’est pas le garant du bien commun mais seulement d’une forme de neutralité permettant d’échapper à la guerre de tous contre tous. La société n’est plus qu’un espace oscillant entre l’État et l’individu et se maintenant par l’onction de l’État. Dans la pensée de Locke, il semble que cette société soit finalement coextensive au marché sur lequel les individus échangent des biens. Pour Cavanaugh,

Le résultat n’est pas le bien commun mais une tentative – finalement tragique- de se garder des conflits sociaux en empêchant les individus d’interférer les uns avec les autres.

3/ L’Etat n’est pas une partie de la société, il absorbe la société en lui

Sur ce point, qui prolonge le précédent, Cavanaugh se démarque de l’opinion dominante (illustrée par John Courtney Murray, qui distingue pourtant déjà le bien commun et l’ordre public, seul poursuivi par l’Etat).  En effet, il soutient que l’Etat ne dérive pas de l’auto-gouvernement des groupes sociaux :

l’Etat n’est pas simplement un gouvernement local à plus grande échelle. L’Etat est quelque chose de qualitativement différent.

Le juriste pourra se souvenir du succès des théories de la fiction en matière de personnalité morale. Les associations, fondations et autres sociétés n’ont d’existence que grâce à l’onction de l’État. Au plan politique, cette théorie est tout à fait en cohérence avec la conception que l’on se fait de l’État moderne. L’État moderne est absolu , total voire totalitaire même s’il est formellement démocratique. Les difficultés de l’Église et des chrétiens à trouver leur place dans le débat public sont sans doute liées à la construction de l’Etat moderne dans le prolongement de Hobbes et de Locke (Cavanaugh cite aussi Pierre Manent). Dans le même ordre d’idées, on peut trouver là la raison de l’échec du principe de subsidiarité ; il n’est pas respecté parce que l’Etat le rejette comme une greffe incompatible.

Absorbant tout et garantissant la vie des individus, l’Etat peut toutefois demander aux citoyens de donner leur vie, nationalisme aidant. Pour Cavanaugh, l’Etat nation moderne existe

lorsque d’un coté on est prêt à sacrifier sa vie pour la nation et que de l’autre on lui confie l’arbitrage de ses droits

On retrouve ici la citation devenue célèbre (ou presque) de MacIntyre :

L’État-nation moderne, quelle que soit sa forme, est une institution dangereuse et incontrôlable, se présentant d’un côté comme pourvoyeur bureaucratique de biens et de services toujours prêt en théorie, mais jamais en fait, à donner de la valeur en échange d’argent,  et de l’autre comme dépositaire de valeurs sacrées pour lesquelles il invite de temps à autre à sacrifier sa vie (…) C’est comme si l’on vous demandait de mourir pour la compagnie des téléphones (A. MacIntyre)

Autrement dit, si l’État nation n’est pas inutile, il est fondamentalement incapable de promouvoir le bien commun. L’ordre public, un certain intérêt général, pourquoi pas mais le bien commun, non!

Cavanaugh tire de son analyse une conception originale de la mondialisation. Plus qu’une remise en cause de l’État nation (qui l’a largement favorisée), la mondialisation en serait le prolongement naturel. Sans doute la souveraineté des Etats est érodée mais il n’y a pas de contradiction entre le développement de l’État moderne et le phénomène de la mondialisation :

De même que l’Etat a produit un marché national unitaire, de même aujourd’hui un marché global se met en place.

L’Etat a absorbé la société ; à plus forte raison, la mondialisation tendra à réduire le local dans un universel standardisé. Voilà pourquoi avec Cavanaugh, je serais tenté de penser :

Si c’est bien le cas, alors miser sur l’Etat-nation pour défendre le bien commun contre les conséquences souvent brutales de la mondialisation n’apparaît pas très prometteur.

C’est pour cela que l’appel à l’État pour soulager les maux actuels me laisse perplexe. J’ai un peu envie de dire : tout ça pour ça ? Si les réflexions de Patrice de Plunkett ou de Charles ne conduisent qu’à un étatisme renouvelé, ce serait bien décevant. Il doit y avoir beaucoup d’autres perspectives et plus riches dans leur invitation.

Alors que faire ?

La tâche urgente qui incombe à l’Église, donc, est de démythifier l’État-nation et de le traiter comme la compagnie des téléphones. Au mieux, l’État-nation peut fournir des biens et des services qui sont utiles, dans un domaine limité bien précis : s’occuper du courrier par exemple. État n’est pas le gardien du bien commun et, en conséquence, nous devons réviser nos attentes à son endroit.

L’Église, pécheresse et sainte comme le dit ailleurs Cavanaugh,

doit se constituer en espace social alternatif et ne pas s’en remettre à l’État pour qu’il lui assure une présence sociale.

Elle néglige toutefois souvent les possibilités qu’elle a d’agir pour permettre un changement social. Son cantonnement dans un rôle de corps intermédiaire sous l’égide de l’État rend son discours difficilement audible. Cavanaugh prend l’exemple de la guerre (et notamment de la guerre en Irak) qui permet régulièrement à l’État d’affirmer son existence.

Bien entendu la pensée de Cavanaugh n’est pas sans faiblesses (ce serait trop beau). On peut lui reprocher de confondre les plans religieux et politique en succombant à la tentation dévote (T. Collin). On peut également regretter qu’il ne dialogue pas davantage avec le Magister. Pourtant, la doctrine sociale de l’Église est riche en développements tout à fait cohérents avec les idées de Cavanaugh (Compendium, n° 417-418 sur la primauté de la société civile). Cependant, elle reste attachée à l’idée que l’État est garant du bien commun (Compendium, n° 168-170) sans bien voir que l’État auquel elle rêve n’est pas l’État tel qu’il fonctionne en Occident depuis quelques temps déjà… Autrement dit, si l’on peut espérer quelque chose de l’État, ce ne sera qu’à la condition qu’il se renouvelle d’abord en profondeur (respect du principe de subsidiarité voire franc fédéralisme, modestie voire frugalité…). En attendant, il ne sera qu’un instrument auquel il n’est pas nécessaire de renoncer mais qui restera difficile à manier.

19 commentaires leave one →
  1. 21 décembre 2011 0 h 00 mi

    Merci pour ce débat. L’article est intéressant, la pensée de Cavanaugh mérite en effet d’être découverte. Je te fais une réponse en commentaire dès demain.

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  2. 21 décembre 2011 0 h 26 mi

    D’accord avec presque tout.. Presque.

    Il est vrai que l’exemple des guerres (et plus généralement, d’un rapport entre les états vu comme rapport de force, où pour le coup le « bien commun des états » n’existe pas !) contribue à dé-légitimer l’état. Les grandes guerres étaient-elles moralement justifiées ?

    Une réflexion en passant : C.S. Lewis, dans The Four Loves (p29 dans l’édition Harcourt Brace Modern Classics), a une réflexion intéressante sur l’état en temps de guerre.

    Son argument consiste à dire que si l’on faisait la guerre sur les seules bases morales, alors toutes les guerres seraient totales, des guerres d’annihilation.
    En réalité, dit-il, nous défendons, et aimons, notre pays, simplement parce que c’est le nôtre. C’est ce qui permet de reconnaître la dignité du soldat d’en face.

    C’est drôle de voir que c’est justement une forme de privatisation de l’état dans la conscience qui humanise le rapport qu’on peut avoir avec. Aucun homme n’aime sa cité parce qu’elle est glorieuse, mais parce que c’est la sienne.

    Cela marque justement un point intéressant : la dignité du sacrifice de nos soldats vient de qu’ils vivent et meurent pour défendre nos valeurs. C’est louable.

    Mais, on l’a vu au-dessus, ce n’est pas des valeurs éthérées qu’ils défendent (on partage bcp les mêmes entre états, sans être d’accord sur les moyens ou leur traduction concrète), mais des valeurs incarnées dans une culture, un mode de vie, un mode d’agir.

    Dans ce contexte, la vision d’un état fort entraîne deux conclusions :
    – l’une, qu’il faut périodiquement remettre en cause notre modèle, afin d’éviter d’en faire un absolu et de jouer les impérialistes. Il faut reconnaître que des cultures différentes et aussi dignes que la nôtre sont possibles.
    – l’autre, que tout multi-culturalisme est impossible.Que les cultures peuvent cohabiter au mieux de loin.

    Je partage la première conclusion. Ca coince pour moi au niveau de la seconde :

    Mon expérience est que la proximité des cultures est possible, et qu’elle est féconde.
    Qu’elle nécessite un travail réel d’ouverture et d’humilité, mais qu’elle enrichit la culture d’un homme en un jour plus qu’un état ne saurait le faire en une vie.
    Cette cohabitation des cultures nécessite forcément un état plus libéral que la version de Charles Vaugirard.

    Pour autant, je ne suis pas un libéral absolu.

    Quand je lis qu’on autorise des parents à intimer pour des raisons religieuses (???) à leur enfant de porter un casque antibruit à l’école : http://lejournaldemontreal.canoe.ca/journaldemontreal/actualites/education/archives/2011/12/20111219-062600.html je deviens beaucoup moins libéral.

    Ou plutôt : s’il faut admettre que des cultures différentes et dignes existent, il faut reconnaître les traits de ce qui (même en étant incompréhensible pour nous) constitue une culture, et de ce qui n’est que la décadence d’esprits isolés.

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    • 21 décembre 2011 22 h 26 mi

      La guerre ou la violence politique (interne ou internationale) est un des moyens que l’État a trouvé pour s’affirmer à l’origine d’abord et pour se rappeler au souvenir des citoyens par la suite. Il tire ce privilège du fait qu’il a retiré l’usage de la violence aux individus qui y ont consenti pour préserver leur existence (Hobbes). Que des individus acceptent de mourir ainsi m’a toujours étonné même si l’on peut comprendre comme tu le le laisses entendre qu’ils défendent ainsi un mode de vie personnel plus que de grandes valeurs.

      Quant au multiculturalisme (bien compris ?), il est pris entre deux feux : le premier est celui que tu identifies (l’État fort et culturellement homogène); le second est le résultat de la mondialisation (où l’universelle est une forme de culture globale standardisée et finalement vide de sens). Un vrai multiculturalisme suppose une renouvellement du lien local/universelle qui est entravé aussi bien par l’État moderne que par la mondialisation. Bref, il n’est pas sûr qu’un État libéral soit plus favorable au multiculturalisme…

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      • 21 décembre 2011 23 h 05 mi

        Je n’ai pas dit que les soldats défendaient leur mode de vie personnel. Mais qu’il défendent des valeurs incarnées dans un mode de vie personnel.

        Je ne nie pas la noblesse du don de soi au combat. (Il serait difficile et dommage de penser que les soldats tombés en Afghanistan se battaient uniquement pour propager un style de vie).

        D’accord avec ton analyse sur le multiculturalisme, sinon.

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      • 21 décembre 2011 23 h 55 mi

        Quand je dis mode de vie, je ne vise pas simplement le confort mais une façon de vivre incluant les valeurs. Il reste que je comprends à peu près l’idée mais j’ai du mal à l’admettre. Je ne suis pas un pacifiste radical mais je ne suis pas sûr que l’on ai engagé que des guerres justes ces dernières années…

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  3. 21 décembre 2011 8 h 02 mi

    Il est trop tard pour privatiser la compagnie des téléphones, car elle va, incessamment, faire banqueroute.

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  4. 21 décembre 2011 12 h 06 mi

    Tout d’abord je tiens à rappeler que mon article n’engage que moi. Je ne parle pas au nom des chrétiens Indignés et je ne connais pas les options de Pneumatis sur le sujet. Le mouvement des Chrétiens Indignés est une démarche qui n’est pas politique, c’est davantage un appel à la sobriété et à la responsabilité individuel. En revanche mes propos sont clairement politiques: la question de l’Etat et de son rôle.

    Pour faire vite, l’Etat n’a pas vocation à être une « compagnie du téléphone ». D’abord, la compagnie du téléphone aux Etats-Unis est une société privée qui réalise des profits en répondant à une demande. Je ne critique pas cela du tout, mais voila : elle travaille pour elle, pour ses actionnaires en satisfaisant ses clients.

    C’est certain que ses agents et ses clients ne vont pas mourir pour elle.

    En France, les soldats tombés au champ d’honneur ne sont pas mort pour l’Etat. Ils sont morts pour la France. Evidemment on peut discuter de la légitimité de certaines guerres. Toutes sont des boucheries, certaines sont clairement injustes. Mais parfois il faut les faire sinon le pays est annihilé.

    Jean Moulin, Honoré d’Estienne d’Orves, Gilbert Dru, Guy Moquet ne sont pas mort pour la Compagnie du téléphone, ni pour La Poste, ni pour la SNCF… Ils sont morts pour la France, pour notre liberté, pour que nous ne finissions pas dans l’enfer nazi. L’action de la Résistance était une guerre juste, la survit de notre peuple était en jeu.

    Sur l’origine de l’Etat, oui il est artificiel mais il repose sur une réalité : l’histoire d’un peuple. L’Etat n’est pas une espèce d’OGM fabriqué par des idéologues, notre Etat n’est pas non plus comme la Jordanie ou le Koweit : des Etats dessinés à coup de crayon par des puissances lointaines. La France est le produit d’une longue histoire et l’Etat a fait l’objet de maintes réformes, révolutions, avancées et aussi reculades.

    Pour revenir à la Résistance, ceux là qui se sont battus, qui sont revenus de déportation, qui ont souffert la torture ne limitaient pas leur lutte à la libération du territoire. Ils avaient un idéal politique qu’ils ont poursuivit après la guerre. Tous rejetaient l’IIIème République dans ce qu’elle avait de faible. Un Etat minimalitaire, instable…la IIIème a eut ses vertus, c’était un Etat libéral qui a eu une œuvre importante : liberté de la presse (Loi 1881), d’association (Loi 1901), de conscience (Loi 1905) etc. Mais socialement, beaucoup de choses étaient à revoir…malgré 1936 et ses avancées.

    La Résistance avait beaucoup de courants différents : Démocrates chrétiens du MRP (gaullistes en 1945, coupés du Général après 1946), communistes, quelques libéraux… Donc des visions différentes de l’Etat. Mais le MRP a joué un rôle prépondérant. Très représenté dans la première constituante, il a obtenu un score très important à la deuxième. Le MRP avait une vision du bien commun conforme à la doctrine sociale de l’Eglise. C’est dans cet esprit qu’il a contribué à la création de la Sécurité sociale et de la retraite par répartition ainsi qu’a tout une politique sociale. Système voulu par l’Etat, soutenu par l’Etat mais administré par des structures parapubliques et financé par des cotisations sociales : taxes parafiscales collectées par des structures également parapubliques.

    1945 est une date essentielle de l’histoire de l’Etat en France et le MRP est un acteur trop souvent oublié.

    Enfin, j’aime bien Cavanaugh. C’est un auteur intelligent et j’aime beaucoup son livre « Etre consommé ». Mais il y a un moment ou il faut être réaliste un minimum. L’Etat est là, il existe, il est un acteur fort, puissant. Au lieu de chercher à le diminuer au profit d’une société civile floue, je pense qu’il faut l’orienter vers le bien commun.

    Car la vraie question est double :

    -Qu’est-ce que le bien commun ?
    -Quelle forme pour l’Etat ?

    Je l’ai dit dans mon article : le bien commun n’est pas l’intérêt général. Il est comme un mouvement de balancier entre l’intérêt de la collectivité et l’intérêt de la personne (notamment l’option préférentielle pour le plus pauvre). Une collectivité où la personne est au centre.

    Sur la forme de l’Etat, tu ne mentionnes pas toutes les formes différentes que connaissent les Etats. Le régime fédéral Allemand, la confédération Suisse, l’Espagne, les USA etc. Sans oublier la différence entre République et Monarchie. En te lisant on a l’impression qu’il n’y a que des Etats-nations, que tous ont une propension à la guerre…c’est faux. Il y a peu d’Etat-nations comme la France. L’Espagne, la Belgique, la Grande Bretagne n’en sont pas. L’Allemagne c’est encore différent. Les USA sont un Empire. La Suisse s’est construite sur l’absence de guerres depuis 1515, même si c’est un pays militariste (paradoxal mais vrai).

    Donc il est impossible de faire une telle généralité. En revanche sur son rôle de gardien du bien commun, la DSE est claire la dessus : c’est sa vocation, son rôle. Ce qui ne veut pas dire qu’il ait toujours joué ce rôle. Tout dépend des hommes qui le dirigent…L’Histoire est éloquente la dessus, « là où il y a des Hommes il y a de l’hommerie » disait le père Manaranche.

    Je ne crois pas en l’Etat parfait, ni en l’Etat infaillible. Le seul sauveur c’est le Christ, la seule Providence vient de Dieu. Mais l’Etat existe, il est là : partons de cette réalité et tâchons d’en faire bon usage, c’est notre vocation de citoyen et à plus forte raison de citoyen-chrétien.

    Sur le commentaire d’Incarnare je rejoins en grande partie son propos. J’ajouterais que je n’ai pas une vision fermée de l’Etat. Je ne suis pas contre une société multiculturelle, au contraire ! La « diversité » (pour reprendre un mot à la mode) est très positive, les migrants sont une chance pour la France et je dirais même : un cadeau. Là dessus je ne suis pas objectif : je suis moi-même originaire de deux nations différentes avec des ascendances encore plus diversifiées (ce qui complique les réunions de famille lolll). J’ai vécu cela comme une chance.

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    • 21 décembre 2011 22 h 44 mi

      L’exemple de la résistance serait effectivement un bon contre exemple. Il reste qu’il est peut-être suffisamment particulier pour ne pas être significatif (même s’il est au fondement d’une part importante de notre mythologie politique). Surtout, tu le dis bien également, il faut se poser la question de la guerre juste. Le système contemporain laisse à l’Etat le monopole de la définition de la guerre juste. Le débat a resurgi aux EU lors de la guerre d’Irak (à laquelle Cavanaugh était opposée) : l’Etat définit-il seul ce qui est juste ou l’Eglise (par exemple) peut-elle s’exprimer ?

      Sur le MRP, j’ai dis ailleurs ma sympathie pour ce mouvement (et je le redirais peut-être ici un de ces jours). Mais il a échoué. Institutionnellement pour de multiples raisons (concurrence de Grand Charles [l’autre…], absence de leader charismatique, manque de culture démocrate chrétienne… Moralement (à mon sens), il a échoué en ne s’opposant pas à la guerre d’Algérie. Il avait une vision de l’Etat inspiré de la doctrine sociale de l’Eglise ; il n’y a pas de doute sur ce point. Il reste qu’avant que l’Etat soit un instrument utile au bien commun, il devra être sérieusement réformé au point de changer de nature (abandonnant le modèle Hobbesien). Le réalisme impose aussi de percevoir les limites de l’instrument même si l’on ne peut pas nier son existence. Mais il est vrai que la tentation dévote (comme dit T. Collin) menace le lecteur de Cavanaugh…

      Sur la notion d’Etat nation, elle est utilisée par Cavanaugh pour désigner l’Etat moderne que connaît l’occident depuis en gros le XVIe siècle. Dans sa conception, les EU comme l’Allemagne et bien entendu la France (peut-être avant les autres d’ailleurs) sont des Etat moderne et entre dans la catégorie Etat nation (sur la propension à la guerre, c’est une propension et un facteur parmi d’autres, pas le seul mais historiquement souvent à l’origine de l’Etat moderne notamment en lien avec l’impôt).

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    • 21 décembre 2011 23 h 15 mi

      Pas du tout d’accord avec toi.

      Au contraire tu prends pile le bon contre-exemple : les résistants sont justement sans qui ont lutté sans état et souvent contre l’état ! Ils ont dépassé la notion d’état naturel que tu défends pour lutter pour leurs valeurs.

      De même pour reprendre l’exemple des soldats morts en Afghanistan, ce n’est pas de l’irrespect de ma part que d’avancer qu’ils ne sont pas morts tant « pour la France », que pour leurs valeurs (qui sont aussi celles des français, et que l’état relaie en donnant les structures – l’armée – qui permet de s’engager pour elles).

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      • 21 décembre 2011 23 h 51 mi

        Pas d’accord avec moi ou Charles ? Je suis cependant d’accord sur le fait qu’ils ont combattu en dehors de l’Etat. La portée de l’exemple reste ambiguë pour la question abordée ici.
        Pour les soldats en Afghanistan, je ne voie pas pourquoi ils sont morts. C’est un peu dur et je ne veux pas non plus manquer de respect mais je ne suis pas loin de penser qu’ils sont morts pour rien. C’est juste un grand gâchis…

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      • 22 décembre 2011 0 h 01 mi

        Un petit mot sur la Résistance. Là non plus nous ne sommes pas d’accord.

        La Résistance extérieure organisée par le Général de Gaulle se voulait être l’Etat légitime. Evidemment c’était une dissidence de l’Etat officiel détenu par Vichy. Mais De Gaulle n’a jamais voulu faire sa Résistance contre l’Etat. Il voulait substituer à Vichy, la France Libre. Notamment par une diplomatie « gaulliste » auprès des alliés. Diplomatie dont le but était que les Etats-unis reconnaissent le gouvernement de Londres comme étant le seul véritable gouvernement.

        Même chose par rapport aux colonies, de Gaulle souhaitait que l’Administration coloniale soit soumise à Londres et non à Vichy, ce qui a marché !

        De plus une partie de l’Armée l’a suivi à Londres. Faible partie, mais quand même. En revanche, en ayant récupéré les colonies, il a pu mettre la main sur les régiments de tirailleurs africains. Le débarquement en Provence du 15 aout 1944 a été le fait d’une une armée française multicolore et surtout…régulière. L’armée, la vraie, pas des groupes armés non étatiques comme les maquis.

        Donc il y avait bien deux Etats. De Gaulle était très attaché à l’Etat, à ses corps, à son armée (normal…il en était).

        Pour la résistance intérieure, c’est différent…selon les réseaux. Jean Moulin, préfet, était proche du Général, son but était d’unifier la Résistance intérieure et de la lier à la France Libre. Cela n’a pas été simple, les maquis, corps francs, et autres « milices patriotiques » (pas l’autre milice, évitons la confusion) n’étaient pas toutes emballées par cette démarche…Ni par le Grand Charles (le vrai), et celui-ci a créé un séisme quand il a dissous ces groupes armés para-militaires à la Libération.

        Le Général souhaitait restaurer l’Etat légitime. Il affirmait que la France libre le maintenait. Les juristes de la Résistance ont construit tout un argumentaire la dessus.

        Un exemple : le professeur de droit Démocrate chrétien Pierre-Henri Teitgen (grand résistant et fondateur du MRP) défendait à Montpellier sous l’Occupation, l’idée que le vote des pleins pouvoir au Maréchal Pétain était illégal. En effet, il estimait comme contraire aux principes généraux du Droit le fait de donner à un homme le pouvoir de modifier la Constitution alors que le pays était envahit.

        Donc la Résistance ne s’est pas fait contre l’Etat, juste contre un Etat fantoche aux mains des nazis et pour un Etat libre : la France Libre. Et l’ Histoire leur a donné raison.

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  5. 21 décembre 2011 15 h 26 mi

    J’ai peut-être une lecture biaisée de votre texte… le développement est consacré à la « défense » de votre titre, en passant par ce bon Cavanaugh, et de ce bon MacIntyre. Mais il me semble qu’il y a quand même là plus une critique de « l’Etat tel qu’on le connait » que l’affirmation que l’Etat ne DOIT pas se préoccuper du bien commun. Un indice – selon moi probant 🙂 – est celui de votre aparté sur la subsidiarité. Je l’interprète – peut-être à tort, mais vous me le direz – comme ceci : l’Etat tel qu’on le connaît rejette la subsidiarité, alors que la subsidiarité est souhaitable. Votre conclusion semble abonder dans ce sens : « sans bien voir que l’État auquel elle rêve n’est pas l’État tel qu’il fonctionne en Occident depuis quelques temps déjà ». La discussion est ainsi replacée : faut-il que l’Eglise – parce que l’Etat « depuis quelque temps » fonctionne « mal » renonce à ce qu’elle considère comme « bien » ? ou bien faut-il que l’Etat – aidé en cela par nos efforts intellectuels ET concrets – se rapproche du « rêve » ? Ou autrement dit faut-il renoncer à l’Utopie chère à votre saint patron ? Si j’en crois vos dernières lignes votre choix est fait : c’est en renouvelant l’Etat en profondeur que nous pourrons espérer quelque chose de l’Etat. Et ce renouvellement en profondeur passe bien par la prise en compte du bien commun…
    En fait… « gardien » du bien commun, non, bien sûr. Mais ayant le souci du bien commun, oui ! Qu’Hobbes retourne dans les oubliettes de l’histoire de la pensée 😉 @baroquefatigue !

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    • 21 décembre 2011 22 h 53 mi

      Vous m’avez bien lu !
      Je constate la situation (ou plutôt je fais mien le constat de Cavanaugh ; c’est surtout sa pensée qui est exprimée ici… lue par votre serviteur!) mais ne l’approuve pas pour autant. Les choses étant ce qu’elles sont je cherche aussi des alternatives. Cavanaugh en propose (à l’efficacité sans doute limitée mais qui sont stimulantes). La conclusion est de moi et vous discernez bien que c’est un regret qui transparaît là…

      Le pauvre Thomas More !! Merci d’avoir une pensée pour lui. En réalité, il a été victime d’un roi fou mais aussi l’une des premières victimes de l’Etat moderne.
      Pour Hobbes, il faut toutefois prendre conscience de son rôle et de celui de ces successeurs sinon il est impossible de penser la politique autrement que par un retour un peu brut et simpliste à saint Thomas d’Aquin. Le thomisme a du bon mais il doit répondre aux penseurs de l’Etat moderne donc entrer en dialogue avec eux pour permettre un renouvellement des idées. Il faut trouver un penseur post Hobbsien…

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