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Le transsexualisme et les droits fondamentaux

5 juillet 2013

Autant le dire tout de suite, voici un billet qui va mécontenter à peu près tout le monde. Le sujet est difficile souvent douloureux et ne peut être épuisé en un billet de blog. Pourtant, la question du transsexualisme soulevée par le dernier avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et les réactions qu’il a suscitées méritent sans doute qu’on y consacre quelques instants sans se laisser emporter par le réflexe polémique ou idéologique. Avant de hurler à l’intégration de la théorie du genre (promue récemment au rang d’idéologie), peut-être faut-il revenir à la source.

La CNCDH a été saisie au début de l’année par le Mmes Taubira et Vallaud-Belkacem pour réfléchir, d’une part, sur « la définition et la place de « l’identité de genre » dans le droit français » et, d’autre part, sur « les conditions de modification de la mention du sexe dans l’état-civil ». Comme le relève la CNCDH, ces deux questions sont liées mais bien distinctes. Il ne faudrait donc pas trop rapidement faire un amalgame qui risquerait d’obscurcir un débat difficile. Ce n’est pas la même chose de savoir s’il faut modifier, et dans quel sens, notre législation pour introduire la notion d’identité de genre et de s’inquiéter du sort des personnes transsexuelles.

Le propos de la CNCDH est d’abord d’inviter le législateur français à introduire la notion d’identité de genre dans notre droit. Le point de départ de la réflexion est le constat de l’ambiguïté de la notion d’identité sexuelle. Celle-ci a été consacrée par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 qui a notamment inséré dans l’article 225-1 du Code pénal l’infraction de discrimination à raison de l’identité sexuelle. En réalité, ce qui était visé ce n’était pas la discrimination à raison du sexe, déjà incriminée, ou à raison des pratiques sexuelles (ce qu’on appelle l’orientation sexuelle), également déjà réprimée, mais bien la discrimination touchant les personnes souffrant de transsexualisme. Selon la CNCDH, il serait dès lors préférable de ne pas faire mention du sexe mais de l’identité de genre afin de bien marquer que l’on renvoie à une dimension psychologique, de ressenti, et de non biologique :

la transidentité est une question d’identité et non de sexualité

D’un point de vue technique, la précision serait sans doute justifiée. Il ne s’agit pas d’une consécration généralisée de la notion de genre, voire d’une éventuelle théorie du genre. S’il est permis (est-ce encore permis d’ailleurs ?) d’être réservé sur le développement désordonné du principe de non discrimination, au détriment du véritable principe d’égalité, il faut tout de même admettre que la proposition de la CNCDH a une portée plus limitée qu’on ne le dit parfois. Et il n’est pas sûr que beaucoup oseront affirmer qu’il est légitime de refuser un travail ou un logement à une personne transsexuelle ou de la licencier par exemple. Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à la réflexion voire à la controverse lorsqu’il s’agit d’études de genre. Il serait beaucoup plus contestable à mon avis de modifier l’état civil pour y intégrer la notion de genre. Mais c’est une autre histoire…

Sur le second point, la CNCDH propose de réviser les conditions de changement de sexe. Le transsexualisme est un syndrome, une pathologie reconnue par l’OMS dans sa classification dite CIM10 (classé parmi les troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte, rubrique trouble de l’identité sexuelle). Cette qualification fait l’objet de critiques de la part des mouvements LGBT. Elle consiste en la croyance invincible de la personne qu’il ou elle appartient à l’autre sexe. Le trouble provient de la discordance entre cette croyance et le sexe de la personne : autrement dit, la personne est persuadée d’être d’un genre différent de celui qui désigne son sexe. Cela conduit certaines personnes à faire procéder à une opération dite de conversion ou de réassignation sexuelle tendant à faire coïncider l’apparence de la personne et sa croyance.

Juridiquement, depuis un revirement de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 11 décembre 1992, la jurisprudence française admet la modification de l’état civil de la personne transsexuelle opérée (Cass. ass. plén., 11 décembre 1992) :

Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence.

Autrement dit, le changement d’état civil est subordonné à une transformation chirurgicale du corps de la personne. Des arrêts récents ont repris cette idée en adoptant une formule un peu différente (Cass. 1re civ., 7 juin 2012 (2 arrêts) et 13 février 2013 (2 arrêts), publiés au Bulletin civil) :

pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence

La constante jurisprudentielle se trouve dans la nécessité d’une opération chirurgicale irréversible. On peut y voir une exigence tendant à s’assurer du sérieux de la démarche. Il s’agit de soigner la personne de son transsexualisme en réalisant une opération de réassignation sexuelle mettant en conformité son apparence et son identité ressentie. On peut aussi y voir l’expression de l’idée d’une nécessaire cohérence  entre le sexe et le genre ; cohérence qu’il faut atteindre au besoin par une violence médicale. Car il s’agit bien de violence même si elle est variable selon l’interprétation retenue de la notion d’irréversibilité. Il est difficile de connaître les chiffres exacts mais il semble que le taux de suicide chez les personnes transsexuelles réassignées reste important. Les données fiables semblent toutefois manquées. Que le malaise persiste au-delà de la réassignation, n’est-ce pas suffisant pour montrer l’échec d’une telle démarche ? Paradoxalement, certains défenseurs des études de genre, voire du queer, vont également dans ce sens (V. A. Fausto-Sterling, Les cinq sexes, Payot 2013).

A partir de ce constat, il est possible d’examiner sérieusement les propositions de la CNCDH qui se prononce en faveur de la suppression des conditions médicales et recommande une déjudiciarisation partielle de la procédure de changement de sexe à l’état civil.

En réalité, il faut sans doute distinguer les deux suggestions. Quant à la suppression des conditions médicales, il semble qu’elle soit assez légitime pour ce qui est de la transformation irréversible. Il s’agit de réduire la violence de l’acte, en permettant un éventuel retour en arrière. La suppression du diagnostic de « syndrome de dysphorie de genre » laisse toutefois dubitatif. Même si la France a fait le choix de ne plus considérer ce syndrome comme une pathologie, elle reste un trouble considéré comme une maladie par l’OMS. D’un strict point de vue technique, l’importance de l’opération juridique justifie que l’on ait une bonne raison de modifier l’état civil d’une personne. Un tel changement n’est pas normal ou du moins pas ordinaire ; on ne peut le laisser au seul caprice de la personne. Si, comme l’estime la CNCDH, l’identité de genre n’est pas le résultat d’un choix, il n’est pas aberrant d’établir que le changement d’état civil est justifié par une force irrésistible, indépendante de la volonté de la personne. L’attestation de de « syndrome de dysphorie de genre » remplit tout à fait ce rôle.

En revanche, la déjudiciarisation de la procédure ne semble pas se justifier. Comment expliquer qu’il soit plus aisé de faire changer son état civil lorsqu’il s’agit de sexe que lorsqu’on demande à changer de nom ou de prénom ? Le contrôle du juge et le rite judiciaire ne constituent pas une immixtion insupportable dans la vie privée d’une personne qui prétend porter atteinte à son état civil. La position de la CNCDH peut paraître mesurée en ce qu’elle soumet le changement de sexe à l’homologation du juge civil. Bien que cela semblera secondaire au non juriste, le maintien d’un contrôle judiciaire semble préférable à une procédure de validation en raison de l’objet de la demande : l’indisponibilité de l’état des personnes justifie que le changement résulte d’une intervention de l’imperium, du pouvoir judiciaire, et non d’un acte de volonté, fut-il homologué.

Ceci dit, tout cela n’est pas très satisfaisant. Comme dans d’autres domaines, l’impression qui domine est qu’on cherche une bonne solution à une mauvaise question. Fondamentalement, l’argumentation de la CNCDH illustre une démarche libertaire malgré ses contradictions. Tout en affirmant que le genre ne se décide pas, elle donne à la volonté de la personne une portée considérable. La combinaison du principe de non discrimination et du droit au respect de la vie privée (réinterprété pour les besoins de la cause) est un puissant levier pour ce genre revendications. Cela ne doit pas cacher que la négation de la dimension médicale et pathologique du syndrome transsexuel relève largement de l’idéologie. Dire qu’il s’agit d’une pathologie n’implique aucune stigmatisation des personnes dont la souffrance est souvent immense. La logique des droits n’apaisera pas cette souffrance. Le relatif échec du droit en la matière devrait peut-être conduire à remettre en cause plus globalement la jurisprudence relative au transsexualisme. Le changement d’état civil n’était pas une nécessité. D’autres voies étaient envisageables : suppression de la mention du sexe sur un certain nombre de documents où elle n’est pas nécessaire, délivrance de document d’identité adaptés… Ces pistes devraient être redécouvertes.

L’abandon de la condition médicale de transformation irréversible permettra simplement de ne pas ajouter une violence à la souffrance mais ne peut être vu comme une bonne réponse à une mauvaise question. L’instrumentalisation de ces situations pour faire progresser une idéologie libertaire marquée par le courant queer ou, inversement, pour dénoncer la progression du genre n’est sans doute pas le meilleur service rendu aux personnes transsexuelles.

22 commentaires leave one →
  1. Eric permalink
    7 juillet 2013 8 h 05 mi

    Je me demande si une partie du problème ne vient pas finalement du flou de la signification de »sexe » dans l’état civil: ne faudrait-il pas pas mieux préciser sexe génétique, sexe biologique (au sens des organes sexuels apparents), sexe social/psychologique ?

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    • 8 juillet 2013 7 h 10 mi

      Le flou vient de la confusion bien française entre male/femelle et homme/femme.

      Il y a bien plus de « sexe » que ce que vous mentionnez pour définir male ou femelle :
      – sexe apparent (pénis, clitoris),
      – sexe organique (testicules, ovaires),
      – sexe chromosomique (XX, XY, XXY, XXYY, …)
      – sexe hormonal (taux de testostérones, oestrogene, …)

      Citez moi un seul besoin réel de la vie courante qui nécessite de mettre la mention « sexe » à l’état civil … que je sache, même à un contrôle d’identité le policier ne regarde pas le contenu de votre culotte …

      Même chez le médecin, il devrait faire votre carte « sexuelle » précise pour certains traitements (prise de sang, …).

      Que veux indiquer l’état civil : male/femelle ou homme/femme ?

      Dans le premier cas c’est totalement useless (une empreinte génétique ou digitale est mille fois plus efficace)et dans le second cas quid des agenre, bigenre et autres personnes qui ne se reconnaissent pas dans une définition judéo-chrétienne patriarcale adam/eve de notre société ?

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      • 8 juillet 2013 23 h 55 mi

        uuuuuuh le djenndeur, encore des mangeurs d’enfants !!!1!
        😉 merci Julie.

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      • 9 juillet 2013 20 h 52 mi

        Qu’il y ait plus de deux sexes ou différentes définitions du sexe, cela est largement admis. Qu’il faille en tenir compte au plan du droit, cela l’est beaucoup moins. L’idée de principe ou de norme implique une certaine abstraction et une indifférence à certaines situations exceptionnelles dont on peut toutefois (parfois) tenir compte dans la mise en œuvre du droit (et particulièrement dans cet art du cas d’espèce qu’est le jugement).
        La question que vous soulevez se pose maintenant alors que la différence sexuelle prise en compte par l’état des personnes prenait place dans une structure généalogique est remise en cause par l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe. Dès lors que ce principe généalogique est remis en cause, il n’est pas étonnant que le mouvement se poursuive dans cette direction.
        C’est logique mais je le regrette d’autant que je ne suis pas sûr que ce soit si conforme aux intérêts des personnes transsexuelles comme le relève des auteurs pratiquant pourtant les études de genre voire queer (comme A. Fausto-Sterling !).

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  2. Curmudgeon permalink
    7 juillet 2013 16 h 05 mi

    La boîte de Pandore ayant été ouverte, y compris pour la prise en compte du « vécu » :
    « Il existe une certaine confusion à ce sujet. La langue anglaise dans son sens inné du raccourci, parle de «transgender», ce terme regroupant sans distinction les personnes transsexuelles et transgenres. Alors que les transsexuelles revendiquent leurs droits au nom d’un sentiment viscéral d’appartenance au sexe opposé, les personnes transgenres exigent la possibilité d’être reconnues dans le genre de leur choix tout en restant désireuses de conserver leur sexe d’origine. La première demande est faite au nom de la nécessité et de l’identité sexuelle alors que la seconde invoque la liberté individuelle et la notion de genre.
    […]
    Notre système juridique est basé sur la notion du sexe, binaire et objective. La notion de genre est en revanche définie par la conscience personnelle et par d’autres expressions du genre comme l’habillement, le discours et les manières de se conduire, tels que définis dans les « Principes de Jogjakarta » présentés devant le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies le 26 mars 2007.
    Comment introduire une telle notion à géométrie variable dans le droit français? C’est là où certaines revendications apparaissent pour le moins utopistes. Tout d’abord, que dire d’une personne qui serait de sexe masculin et de genre féminin, ou l’inverse? Faire figurer ces deux notions contradictoires sur un document d’identité serait la désigner ouvertement comme transsexuelle ou transgenre. Afin d’éviter cette violation de la vie privée, certains juristes ont suggéré de supprimer tout simplement la notion du sexe sur les documents officiels. Il faudrait juste commencer par changer soixante millions de numéros de sécurité sociale, réformer l’état-civil et, remplacer tous les documents faisant mention du sexe, de la déclaration d’impôts au contrat de travail… Rappelons que dans ses conclusions, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme préconise l’introduction dans la législation française de la notion d’identité de genre, mais, reconnaît que: « le concept d’identité de genre n’est pas présent dans le droit français » ! »
    http://www.huffingtonpost.fr/brigitte-goldberg/les-transsexuelles-genre_b_3555008.html?utm_hp_ref=france

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  3. 7 juillet 2013 21 h 07 mi

    Mais qui êtes vous donc ? D’où parlez vous ?

    « transsexuel » et « transsexualisme » sont les deux mamelles du discours médical pathologisant. La grande malade en fait, c’est la norme de genre binaire, pas les personnes qui veulent naviguer dans cette norme, selon leur ressenti (non pas forcément d’un mauvais corps, mais d’un mauvais genre assigné à la naissance en fonction de leur appareil génital.

    Votre article est bâclé (et bourré de fautes), les trans méritent mieux.

    Célia, personne trans qui se bat pour le changement d’état civil sur le modèle de la loi Argentine (comme quoi c’est possible)

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    • 7 juillet 2013 21 h 28 mi

      Je parle du point de vue du juriste et j’ai tenté de faire preuve de bienveillance mais cela n’est sans doute pas assez… Je suis sans doute plus sensible à la norme que d’autres. Voilà d’où je parle.
      Sinon, je regrette que vous ne tentiez pas d’argumenter un peu. Que pensez vous de l’avis de la CNCDH ? Si j’ai fait des erreurs et que mon article est bourré de fautes dites moi quelles sont mes erreurs.

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    • Curmudgeon permalink
      8 juillet 2013 10 h 33 mi

      Je ne suis pas juriste, mais je me bornerai de dire, de façon informelle, naïve, que, du point de vue, non pas psychologique, mais juridique, la prise en compte du « ressenti », jointe à l’appel constant au refus de « toute discrimination » et à l' »égalité », risque de générer une masse considérable de problèmes difficiles à résoudre. Pas seulement sur les questions de sexe / genre dans une perspective LGBTQIA, mais, par extension, sur un grand nombre d’autres domaines, car je ne vois pas pourquoi on s’arrêterait là. Je blague à peine, mais si je suis plombier et que, dans mon ressenti profond je me sens artiste peintre, pourquoi est-ce que je n’exigerais pas qu’on me considère comme artiste peintre ?

      Le législateur, le juge construisant la jurisprudence, va devoir constamment entrer dans l’intimité des individus. Ces derniers seront toujours insatisfaits, les « communautés » se pulvérisant constamment en sous-communautés revendicatrices, perpétuellement indignées à propos de tout, selon les dernières nouveautés idéologiques.

      Pour se borner au domaine LGBTQIA, que se passe-t-il si le lundi je me sens homme hétérosexuel, le mardi femme bisexuelle, le mercredi homme homosexuel, puis autre chose, etc., et que je revendique une prise en compte fine de mes ressentis successifs, au gré desquels je prétends « naviguer » à ma guise. Le tout en exigeant du système juridique de mon pays (voire de tous les pays sans exception) qu’il s’accommode servilement à mes desiderata ? Est-ce que le droit pourra s’élaborer et garder un minimum de robustesse dans un monde aussi fluent ? Et tout cela pour une minorité tout de même extrêmement réduite.

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  4. Thomas permalink
    8 juillet 2013 0 h 48 mi

    L’indisponibilité de l’état des personnes décrirait le droit positif et ne serait pas une mauvaise farce de la cour de cassation ? Est-ce que le libre-choix de son conjoint ne serait pas un « caprice » aussi, alors ?

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    • 9 juillet 2013 20 h 43 mi

      C’est connu, la Cour de cassation est facétieuse… L’indisponibilité de l’état des personnes est un principe qui permet de garantir une identité stable à la personne. Elle ne peut être remise en cause sans que l’on touche au fondement du droit des personnes et donc au fondement du droit. Si certains le souhaitent expressément, cela ne semble pas prudent quand on ne sait pas placer au cœur du droit autre chose que la volonté et le pouvoir de la personne.

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      • Thomas permalink
        9 juillet 2013 22 h 40 mi

        Commentant l’arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1991, la juriste Marcela Iacub a écrit :

        « Il fallait condamner ces pratiques au nom de règles qui n’existaient pas, tout en faisant comme si l’on appliquait un droit préexistant — bref, se faire législateur lorsque l’on est un honorable magistrat de la Cour de cassation. (…)

        C’est ainsi qu’ils invoquèrent les principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état civil des personnes qui, aussi sympathiques qu’on puisse les trouver, ont le défaut majeur de ne décrire en rien le droit positif dans lequel on peut disposer, dans des modalités particulières, certes, tout aussi bien de son corps que de son état civil. »

        Exemples d’exception à l’indisponibilité de l’état des personnes :

        – l’accouchement sous X
        – la PMA avec tiers donneur
        – l’adoption plénière
        – la possibilité pour un majeur de consentir à sa propre adoption
        – la remise d’un enfant par ses parents aux services de l’Aide sociale à l’enfance en vue de son adoption
        – la possibilité laissée aux parents de choisir le nom de famille de leur enfant
        – le divorce par consentement mutuel

        Mais, peut-être plus que tout autre : la liberté de choisir son conjoint et de se marier. Vite ! Réformons cette intolérable place, au cœur du droit, laissée à la volonté ! Que l’État organise les mariages et décide de l’appariement des conjoints !

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  5. Curmudgeon permalink
    10 juillet 2013 6 h 34 mi

    En réponse à Julie Mazens, notre hôte dit plus haut : « l’idée de principe ou de norme implique une certaine abstraction et une indifférence à certaines situations exceptionnelles ». J’ai l’impression que le rejet de la norme ainsi conçue va de pair, dans d’autres domaines, avec les attaques réitérées contre ce qui est appelé « essentialisme ». Par exemple, si on suit certains, il est interdit de caractériser l’islam, car ce serait être « essentialiste ». En effet, « il n’y a pas un islam, mais des islams ». L’islam n’a pas d’essence, de nature.

    A la base des deux attitudes, il y a, dans l’interprétation la plus favorable, une vision ontologique et épistémologique dont les conséquences, si elles sont prises sans tous leurs déroulements logiques, sont proprement radicales : en fait, on ne peut jamais rien définir, il n’y a plus de concepts, et dès lors, les mots ne veulent rien dire ; on ne peut d’ailleurs plus rien percevoir, puisque les percepts reposent sur des catégorisations. Evidemment, une bonne partie des utilisateurs de « essentialisme » ne tirent pas toutes ces conséquences, ils se contentent de répéter un mot qui fait florès. On devrait les inviter à jeter leurs dictionnaires à la poubelle. Ils n’en viennent jamais à cette extrémité.

    Dans l’interprétation la moins favorable, cette conception est en réalité une technique d’intimidation rhétorique qui sert à paralyser l’opposant, car le non-essentialisme voit subitement son opération cesser quand il risque de menacer les idées du polémiste. Il en va de même de l’attaque contre les normes juridiques, ou plutôt contre certaines, mais pas toutes. Cette technique de guerre des idées est peut-être encore plus habile que la technique marxiste pour dévoiler les supposées infrastructures bourgeoises / capitalistes du droit, à laquelle nous eûmes « droit » jadis.

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  6. Curmudgeon permalink
    10 juillet 2013 6 h 38 mi

    Thomas peut-il clarifier la relation qu’il établit entre, par exemple, l’adoption (comme exception à une règle) et le libre choix du conjoint ?

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    • Thomas permalink
      10 juillet 2013 7 h 30 mi

      Le principe d’indisponibilité de l’état des personnes exclut que la volonté seule puisse modifier l’état civil : c’est bien ce que veut nous faire croire la cour de cass, non ? (Puisque c’est la cour de cassation qui a créé ce principe, et non pas le législateur.)
      Donc nous devrions être passif devant les modifications de notre état, modifié par le destin ou la nature mais non par notre volonté. La filiation ne devrait être selon ce principe que l’enregistrement d’un fait biologique créant automatiquement des obligations sociales et non pas la volonté manifesté dans un projet parental (ce qui devrait interdire tous les modes de filiation que j’ai cité, où la volonté intervient beaucoup trop).
      Concernant le statut matrimonial, part de l’état civil, le principe est bafoué du tout au tout par l’acte de se marier : on laisse les citoyens aller modifier leur état civil par le simple enregistrement de leur volonté devant un officier d’état civil et deux témoins.

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      • Curmudgeon permalink
        10 juillet 2013 12 h 21 mi

        Merci de la réponse.

        « Concernant le statut matrimonial, part de l’état civil, le principe est bafoué du tout au tout par l’acte de se marier : on laisse les citoyens aller modifier leur état civil par le simple enregistrement de leur volonté devant un officier d’état civil et deux témoins. »

        Bien trouvé ! Comme vous le suggériez plus haut : « Que l’État organise les mariages et décide de l’appariement des conjoints ! »

        Assimiler la catégorisation sexuelle (homme, femme) et la catégorisation matrimoniale (célibataire, marié), c’est très hardi. Je laisse les personnes compétentes commenter juridiquement.

        PS – Incidemment, juste pour le plaisir : chez les catholiques (et les orthodoxes), c’est le summum. Contrairement aux six autres sacrements, le sacrement de mariage est administré, non pas par un prêtre, mais par les époux eux-mêmes conjointement ; c’est ce consentement exprimé qui constitue la « cause efficiente » du mariage. « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuelle

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      • Curmudgeon permalink
        10 juillet 2013 12 h 23 mi

        Suite…

        « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage. ». CDC IV, VII, article 1057

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  7. Curmudgeon permalink
    11 juillet 2013 8 h 52 mi

    Sur la question du mariage des hermaphrodites dans le droit canon médiéval, voir Maaike van der Lugt, L’humanité des monstres et leur accès aux sacrements dans la pensée médiévale, pages 17 à 19

    Cliquer pour accéder à Monstreshumaniteetsacrementsdanslapenseemedievale.pdf

    Pour une définition du mariage par Henri de Suse au XIIIe siècle, je viens de poster un commentaire sous le billet :

    Le mariage gay devant la Cour suprême

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  8. Curmudgeon permalink
    11 juillet 2013 9 h 03 mi

    Vision médiévale de la différenciation sexuelle, de l’hermaphroditisme, dans Maaike van der Lugt, Sex differences in medieval theology and canon law: a tribute to Joan Cadden

    Cliquer pour accéder à tribute_cadden_sex_difference.pdf

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  9. Curmudgeon permalink
    11 juillet 2013 9 h 15 mi

    Notule :
    Eric Fassin, sociologue : « C’est nous qui définissons l’ordre des choses, et non quelque principe transcendant. Confrontées à cette logique démocratique, les autorités religieuses redoutent de perdre tout contrôle sur le monde. […]
    Si l’ordre des choses est un ordre naturel, alors, [c’est] ce qui est doit être. Pour lutter contre cette (fausse) évidence, qui donne aux inégalités une apparence de nécessité, un travail
de rupture doit être mené. C’est vrai dans tous les domaines : ainsi, la critique marxiste visait à dénaturaliser le capitalisme, dont l’idéologie fait apparaître l’ordre économique comme naturel. On prend aujourd’hui conscience que même l’ordre des corps, des sexes et des sexualités n’est pas fondé en nature : c’est l’extension du domaine démocratique aux questions sexuelles. »
    http://www.osezlefeminisme.fr/article/eric-fassin-denaturaliser-l-ordre-des-choses

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  10. Stanislas permalink
    17 juillet 2013 14 h 49 mi

    @Curmudgeon

    Ce thème est vaste et crucial. L’université et nombre de penseurs « reconnus » sont déjà largement acquis à ces thèses « anti-essentialistes » et il est de plus en plus difficile de les critiquer puisque, précisément, ils contestent le sens de chaque concept et réfutent les données de l’expérience commune.

    Dans la citation de E. Fassin, éclairante, on peut ajouter un autre passage: « ni le sexe ni l’orientation sexuelle ne sont simplement donnés par la nature »

    Que répondre à cela ? (sinon que c’est peut-être contradictoire avec l’affirmation récurrente dans les défilés que « l’homosexualité n’est pas un choix »…)

    D’autres vous expliquent sérieusement que les chercheurs ont maintenant démontré que la distinction homme/femme était une construction sociale.

    Si vous vous hasardez à dire que les situations d’intersexuels sont peut-être pathologiques, tout simplement, on vous oppose un discours outré de type « structures de domination non pensées », comme si vous vous inscriviez à la suite des esclavagistes du XIXe.

    Si vous relevez que les situations de transsexuels semblent largement le fruit des « gender studies » puisqu’elles se développent au même rythme que ces dernières (cf billet de Philarete sur le sujet:
    http://lescalier.wordpress.com/2012/06/12/une-breve-histoire-du-genre-ii-aux-origines-dun-concept/), on vous répond, non sans raison d’ailleurs, que vous n’y connaissez rien et on vous raconte d’édifiantes histoires singulières de jeunes acculés au suicide…

    Ces chercheurs/déconstructeurs pourraient être les nouveaux alchimistes, perdus dans leurs élucubrations intellectuelles et sans lien avec la réalité.
    Ms il faut maintenant les prendre au sérieux.

    Cf tout ce qui sous-tend le rapport Teychenné sur l’homophobie à l’école reçu par Peillon la semaine dernière :
    http://www.education.gouv.fr/cid72996/remise-d-un-rapport-sur-les-discriminations-homophobes-a-l-ecole-au-ministre-de-l-education-nationale.html

    Il suffit de voir la définition d’identité de genre: « désigne l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance »

    L’Education nationale veut explicitement muscler l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge, pour imposer une telle vision « s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités… », comme l’annonce Peillon sans ambage

    Cela rendra (peut-être) plus vivable (en apparence) la situation de 1% de transsexuels, mais cela ne risque-t-il pas de troubler 10% de jeunes mal dans leur peau qui douteront de leur sexe, encouragés par les associations LGBT stipendiées par l’Education nationale.

    Et on veut nous rassurer sur le thème: « la théorie du genre n’existe pas, vous êtes des crétins accrochés à vos vieilles catégories et à vos dogmes… »

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  11. 10 février 2014 11 h 22 mi

    vous pouvez trouver chez Amazone en numérique un petit livre intitulé « récits tans-genre »
    Qui relate quelques cas clinique , autrefois et aujourd’hui

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