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Cohérence et incohérence de l’abaissement du plafond du quotient familial

6 juin 2013

Une_part_plus_une_part_plus_deux_demi_partsLe Premier ministre a annoncé lundi une série de mesures visant à faire quelques économies sur le dos de la politique familiale. Après avoir envisagé une réduction des allocations familiales à la suite du rapport Fragonard, c’est finalement le quotient familial qui a été choisi pour permettre de réaliser les deux milliards d’économies attendues. Politiquement, c’est évidemment la solution la plus habile : après avoir fait peur en menaçant de remettre en cause les alloc’ pour tous, autrement dit l’universalité des allocations familiales, le gouvernement propose une mesure bien plus technique. Le quotient familial est un mécanisme très particulier à la fiscalité française qui consiste à faire varier le montant de l’impôt sur le revenu en fonction du nombre d’enfants à charge dans le foyer. Seuls le Portugal et le Luxembourg auraient adopté un système analogue. Il permet de tenir compte du coût de l’enfant et donc d’inciter les familles à avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent sans risquer de voir leur niveau de vie entamé. Toutefois, l’effet de ce quotient est limité à un certain montant : c’est ce qu’on appelle le plafonnement du quotient familial. Autrement dit, la compensation fiscale est limitée dans son montant ; dès lors qu’on abaisse ce plafond, on augmente les impôts des foyers concernés.

La nature fiscale et le rattachement à l’impôt sur le revenu font que toute réforme qui y touche est nécessairement technique. En outre, elle est tout aussi nécessairement décalée dans le temps : ses effets se feront sentir l’année prochaine… et de l’eau aura coulé sous les ponts avant que certains voient les conséquences de la décision prise maintenant. Enfin, certains font mine d’oublier que le plafond du quotient familial a déjà été abaissé depuis le début du quinquennat : dès 2012, il a été réduit de 2336 € à 2000 €. Il est maintenant prévu de la réduire à 1500 €. On voit bien que la mesure est habile car elle sera vite oublié par la plus grande part de la population.

La réforme ne concernera de toute façon que les plus riches des foyers imposables (env. 53 % des foyers sont imposables!). Un foyer sur cinq serait ainsi concerné par cette mesure d’après le Président de l’UNAF. Les tableaux fournis dans les articles traitant de la question depuis deux jours sont intéressants car ils indiquent assez clairement les seuils retenus et permettent de savoir qui sera concerné. Chacun se demandant s’il ne serait pas touché. C’est toutefois insuffisant pour apprécier la portée de la réforme envisagée. En effet, pour bien comprendre la portée de la réforme il faut revenir rapidement à ce qui fait la cohérence de la politique familiale.

La gauche critique le mécanisme du quotient familial car il aurait des effets anti-redistributifs. En effet, 46 % de la compensation bénéficierait au dernier décile, c’est-à-dire aux 10% les plus aisés. Il est exact que ce combat n’est pas un combat pour les classes moyennes contrairement à ce que soutient l’UMP… Ce n’est pas un combat de classe car, c’est là le contresens commun à la droite et à la gauche, ce n’est pas un combat social mais pour la famille. Or il est évident, comme je l’ai déjà écrit il n’y a pas si longtemps, que nous confondons de plus en plus souvent politique familiale et politique sociale. Je rappellerai simplement ici que la politique sociale corrige des inégalités de revenus, opérant une redistribution verticale, alors que la politique familiale tend à égaliser la situation des foyers avec enfants et sans enfant, opérant une forme de redistribution horizontale. L’objectif est « qu’au sein de chaque catégorie de revenu modeste, moyenne ou aisée, ceux qui ont des enfants ne soient pas pénalisés par rapport à ceux qui n’en ont pas » (Institut Montaigne oct. 2011). La réforme proposée consacre une atteinte supplémentaire à cette logique familiale. En effet, la hausse d’impôt sur le revenu prévisible pour une famille avec 4 enfants ayant env. 100 000 € de revenus annuels est de 2500€ alors qu’il ne serait que de  1000€ si le foyer a 2 enfants (Pour un autre exemple . –  Pour faire son petit calcul à soi). Il est clair que l’effet redistributif horizontal s’estompe encore un peu plus. Autrement dit, pas plus qu’avec la diminution des allocations familiales, le compte n’y est toujours pas. Il faut certainement réduire les déficits publics et sociaux qui sont la tare des finances françaises : augmenter les impôts de manière considérable était sans doute inévitable ; il faut tout autant diminuer certaines dépenses. Fallait-il réduire des dépenses d’investissement de manière aussi peu cohérente ? A la limite, si nous n’avons pas les moyens, il faudrait réduire l’ensemble des prestations en conservant leur logique propre ; ce que tout le monde pourrait sans doute comprendre.

La réforme envisagée est donc en contradiction avec la logique familiale de l’institution du quotient dit précisément familial. Peut-être faudrait-il l’appeler désormais quotient social ? Elle est en cohérence avec la politique du gouvernement fort peu favorable à la famille. Les autres mesures annoncées vont dans le même sens, oubliant que les enfants sont un investissement pour l’avenir d’une nation. La modification de la mise sous condition de ressources de la prestation pour l’accueil des jeunes enfants (Paje), la réduction de la déductibilité des frais de scolarité etc. tout cela ne va pas dans le sens d’une politique d’avenir.

Est-ce à dire que notre natalité, que le monde entier nous envie, va chuter d’ici quelques mois ? Sans doute pas, les enquêtes menées sur ce point semblent montrer que ce genre de réforme n’a qu’une influence limitée sur la natalité (ici). Les aides aux familles influencerait davantage le calendrier des naissances que leur nombre. On peut toutefois noter que la politique du troisième enfant a été un relatif succès et que la  baisse des aides a d’ordinaire plus de portée que leur augmentation.

En revanche, il semble qu’elle aura assez rapidement une influence sur l’épargne et la consommation. Les ménages touchés pourraient désépargner pendant un temps mais risquent aussi de réduire leur consommation. Pour être honnête, il faut reconnaître que le gouvernement a annoncé également une mesure qui pourrait être réellement favorable à la natalité et à la vie des familles si elle sait être ambitieuse : la création de nouvelles places de crèches. Le retard de la France en la matière est bien connu de même que sa véritable influence sur la réalisation du désir d’enfant. Julien Damon envisage d’imposer des objectifs aux communes en matière d’accueil des jeunes enfants. Ce serait assurément plus intelligent que d’augmenter encore le quota de logement sociaux.

2 commentaires leave one →
  1. Aristote permalink
    9 juin 2013 19 h 45 mi

    La réforme est d’abord défavorable aux familles aisées avec enfants, en pratique souvent des catholiques pratiquants. L’ennemi idéologique qui de toute façon ne vote que très rarement PS. Toute autre considération est superfétatoire.

    Plus de places en crèche, un bien ? Pas évident du tout que la mise en groupe de très jeunes enfants soit si favorable que cela à leur socialisation constructive.

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    • 10 juin 2013 10 h 30 mi

      Très honoré de votre visite !
      En ciblant les CSP+ avec familles nombreuses, le gouvernement vise évidemment la catégorie a priori la moins acquise de toute façon à sa politique. C’est certain et cela permet d’adopter une mesure moins polémique que celle touchant les allocations familiales.
      Pour les crèches, cela peut se discuter mais il semble que l’existence de structures d’accueil et le maintien de l’activité féminine sont, actuellement, des facteurs importants de la fécondité. En termes de politique familiale, le développement de ces structures est donc une bonne chose et plus décisive que les transferts monétaires.

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