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Le juriste est-il damné ?

1 octobre 2009

Pourquoi tant de haine ? J’aurais aussi bien pu intituler ce billet Du juridisme mais cela aurait été moins vendeur. En réalité, il ne s’agit que d’un petit billet pour revenir sur un argument couramment manié dans tous les cercles de discussion, catholiques ou non. Je veux parler du reproche de juridisme. Je m’explique. Lorsque, par inadvertance, un participant à une discusion se laisse aller à rappeler qu’il existe des principes ou des règles auxquels il serait bon de se soumettre, il se trouve un autre participant pour lui dire : « ne sombrons pas dans le juridisme« . C’est assez efficace.

Une certaine aversion pour le droit se rencontre chez beaucoup y compris chez les catholiques qui invoquent souvent l’amour comme antidote au poison juridique. En réalité, il semble que cette hargne vient de la victoire idéologique d’une certaine pensée juridique dite positiviste. Cette conception réduit le droit à un simple ensemble de règles posé par le pouvoir. Elle est le plus souvent impuissante à saisir la spécificité du droit et à le fonder. Cela explique qu’à la suite de philosophes comme Rousseau, la loi, expression de la mythique volonté générale, se soit développée de manière métastatique. On peut aussi voir dans le développement des droits de l’homme un symptome de l’affaiblissement de l’exigence de justice dans le droit.

Le droit n’est pas sorcier. Le droit n’est pas par essence une création arbitraire de l’homme. Il existe un droit naturel que les juristes chrétiens et catholiques en particulier ont à coeur de conserver et développer. La plus belle expresion de cette conception du droit reste celle de saint Thomas d’Aquin. Il suffit de rappeler que le droit n’est pas un ensemble de règles plus ou moins arbitraires. Non. Le droit a pour finalité la justice, une justice qui n’atteint pas la perfection de la charité mais qui ne s’y oppose pas. Opposer droit et charité n’a donc aucun sens. Tout au plus la charité peut-elle dépasser le droit. La vérité du droit se trouve dans la vérité de l’homme (pour reprendre la formule de JB Donnier exposant la pensée du P. André-Vincent). Le juriste n’est pas nécessairement un mauvais chrétien. Le droit n’est pas ce que l’on en voit aujourd’hui, déformé par des décennies de positivismes.

Le droit c’est canon. Jusque là, à la limite, tout va bien. Là où les choses se gâtent, c’est lorsqu’il faut admettre que l’Eglise a également son droit. On appelle ça le droit canonique. Le droit canonique est le droit propre de l’Eglise catholique en tant que société autonome (A. Sériaux). Sa finalité est le salut des âmes : il tend à ce que toutes les relations humaines soient organisées de façon à permettre à chacun d’atteindre son salut. Il a une signification théologique plus forte qu’on ne le pense d’ordinaire. Il semble même que cette signification ait été renforcée par le Code de droit canonique promulgué sous le pontificat de Jean-Paul II. Pourtant, bien souvent l’existence du droit au sein de l’Eglise est perçue comme une forme de déchéance, dans un réflexe quasi marxiste (le marxisme prédisant la disparition du droit avec l’avènement de la société authentiquement communiste). Tout juste si le droit n’est pas la preuve de l’existence du péché originel !

Admettre que l’on puisse ester en justice dans l’Église n’est pas renier la mission de charité et de paix propre à celle-ci, mais proposer « un moyen adéquat pour parvenir à cette constatation de la vérité qui est la condition indispensable de la justice animée par la charité et donc de la vraie justice » (D. le Tourneau citant Jean-Paul II).

Le droit canonique a donc une fonction pastorale méconnue des fidèles mais réelle. Il est intéressant de constater que la plus grande part des discours de Jean-Paul II à la Rote mentionne l’exigence pastorale. Dès son premier discours de rentrée :

La vie juridique de l’Eglise, et donc aussi l’activité judiciaire sont en elles-mêmes pastorales par nature: «La vie juridique est l’un des moyens pastoraux dont l’Eglise se sert pour conduire les hommes au salut» (Jean-Paul II)

Sans doute, les exigences pastorales peuvent-elles conduire à un dépassement du droit canonique. La Charité peut dépasser le droit canonique comme elle peut dépasser le droit civil. Mais en réalité, la charité est une justice plus élevée (A. Sériaux). Le danger est de prétendre tordre le droit pour des raisons compassionnelles et faussement pastorales.

Le juge qui agit vraiment en juge, c’est-à-dire avec justice, ne se laisse conditionner ni par des sentiments de fausse compassion pour les personnes, ni par de faux modèles de pensée, même s’ils existent de façon diffuse alentour. Il sait que les sentences injustes ne constituent jamais une véritable solution pastorale, et que le jugement de Dieu sur sa propre action est ce qui compte pour l’éternité (Jean-Paul II).

4 commentaires leave one →
  1. 1 octobre 2009 16 h 03 mi

    Merci beaucoup pour cette article qui fait très clairement le point sur une question fréquente. J’apprécie particulièrement que vous remontiez jusqu’au lien entre le droit, la justice et la charité, sans quoi tout cela est incompréhensible.
    Je garde précieusement le lien.

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  2. 1 octobre 2009 17 h 48 mi

    Suite à un tweet d’armagilus, je tombe sur ce billet, que j’apprécie d’autant plus que je reprochais leur juridisme à plusieurs commentateurs de Sacristains.

    Ce faisant, je ne m’oppose pas au fait qu’il y ait une loi ni qu’elle soit bonne. Je m’oppose au fait qu’on la sépare de l’amour. « Amour et vérité se rencontrent ; justice et paix s’embrassent », dit le psalmiste.

    Or, le plus souvent, le juridisme est divorcé de l’amour. La première cause est souvent que la personne qui fait preuve de juridisme ne connaît pas le principe fondateur des règles de droit qu’elle énonce. Elle énonce la lettre de la loi, en en perdant l’esprit.

    Le second danger du juridisme, c’est un certain « juridisme en négatif ». On énonce une loi qui condamne une attitude que l’on n’a pas et on se situe ainsi dans le camp des bons : la tentation est constante pour tous les hommes de vouloir être le seul à accéder au salut.

    Le juridisme n’est pas loin dès lors que l’on condamne la personne et non les actes. Notons qu’il existe une façon pernicieuse de donner l’impression de condamner des actes qui, en réalité, enferre les personnes.

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  3. 2 octobre 2009 7 h 53 mi

    Merci pour ces commentaires encourageants.
    Le droit n’est pas là pour faire le malheur des personnes même s’il intervient rarement de manière visible en plein bonheur…

    Dans un des discours à la Rote, Jean-Paul II rappelait également (à partir de l’épisode de la femme adultère) que le pardon des personnes et la démarche purement pastorale sont nécessaires mais peuvent être insuffisants lorsque l’acte a des conséquences sur d’autres personnes. Là, la justice juridique (si j’ose dire) reprend ses droits. L’Evangile ne dit rien de l’action du mari ou de l’épouse trompé(es).

    Un autre point important semble être la recherche d’une authentique pastorale qui soit autre chose que du sentimentalisme (pendant du juridisme). Cela implique ne pas être seul (même si l’on agit en conscience).

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