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Timbuktu ou la tragédie de l’islamisme

17 janvier 2015

Timbuktu est à mon sens le plus mauvais roman de Paul Auster. Cette fable humano-canine m’a d’ailleurs conduit, sans que ce soit vraiment réfléchi, à ne plus suivre aussi assidûment l’œuvre de l’écrivain américain. Le mythe de Tombouctou reste gravé dans l’imaginaire de tous les enfants qui ont un peu rêvé d’aventure avant de découvrir le costume cravate mais le moins qu’on puisse dire c’est que le révision austérienne de cette contrée de notre imaginaire ne m’a pas fait rêver un instant. Pourquoi en parler alors, me direz-vous, d’autant que ce livre est sorti il y quinze ans et qu’on ne m’a rien demandé ? Et bien tout simplement parce que j’avais envie de vous parler de l’autre Timbuktu, celui d’Abderrahmane Sissako qui a signé ici un vrai grand film. Mais, je ne sais pas si on peut encore en parler en ces temps de défense de la liberté d’expression car selon le grand critique cinématographique Jacques-Alain Benisti (accessoirement maire de Villiers sur Marne où le film a été déprogrammé avant d’être reprogrammé…), le film pourrait être vu comme une apologie du terrorisme islamique !

Pourtant, si j’en avais parlé, j’aurais relevé la beauté du film : les images, le jeu des acteurs (pour une bonne partie non professionnels parait-il), l’histoire… tout est d’une beauté tragique. Car c’est bien d’une tragédie qu’il s’agit ; comme savaient en inventer les grecs (et franchement, je ne pense pas exagérer). Sissako nous dévoile la tragédie de l’irruption de l’islamisme au milieu d’une communauté musulmane ; un islamisme présenté calmement sans démonstration pour montrer les méchants dans toute leur monstruosité : peut-être est-ce cela qui a échappé à certains esprits un peu plus grossiers. L’islamisme trouble manifestement l’ordre des choses, l’ordre de la vie des habitants de Timbuktu qui, bien qu’issus de différentes communautés (sédentaires et semi nomades ; éleveurs et pêcheurs…) et parlant des langues différentes semblaient jusque là vivre paisiblement. Si j’avais parlé de ce film riche en symboles, j’aurais sans doute constaté que parmi les premières victimes de l’islamisme on trouve les musulmans (V. not. la critique d’Hugues Maillot) avant de m’arrêter sur deux leçons qu’une approche juridique du film pourrait permettre de tirer (on ne se refait pas).

Une histoire dans l’histoire m’a spécialement marqué : la question des mariages. Les islamistes tentent de prendre femme au sein de la communauté qu’ils occupent mais sans respecter les usages en vigueur. J’aurais surtout remarqué à quel point l’islamisme comme système normatif vient se superposer au système coutumier pour l’écraser en remettant en cause les traditions en vigueur en matière familiale. Le rapport entre le droit musulman et les coutumes populaire a toujours été complexe mais Timbuktu nous montre l’effet finalement destructeur du juridisme des islamistes. Les controverses théologico-juridiques entre les responsables armés et les sages de la mosquée sont des moments importants du film où l’on voit d’ailleurs l’emprise de plus en plus forte des islamistes s’affirmer : lors d’une première séquence l’imam parvient par la raison et le Coran à faire battre en retraite les soldats qui entrent armés dans la mosquée alors que lors de la controverses sur les mariages, les soldats semblent finalement l’emporter. Sur le fond du droit de la famille, on pourrait également remarquer en passant que la tradition des musulmans de Timbuktu donne une place plus importante à la femme que les règles des islamistes, qui se passent très bien du consentement de la femme choisie par le guerrier.

Pour revenir au cœur de l’histoire principale, [attention spoiler] l’homicide du pêcheur par l’éleveur donne lieu à un procès qui tourne à la mascarade. Sans parler des standards du procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ni du droit processuel musulman (dont j’ignore tout d’ailleurs), le spectateur perçoit bien que ce procès n’a pas pour but de rétablir un équilibre troublé par l’infraction mais finit par ajouter l’injustice à l’injustice. La pénalité prononcée est manifestement disproportionnée : après s’être informé sur le cheptel de l’accusé, le juge prononce une sanction dont il sait évidemment qu’elle ne pourra pas être exécutée, conduisant à la condamnation à mort de l’éleveur. Le dialogue entre le juge et l’accusé par l’intermédiaire d’un traducteur est, avec la scène finale, un des moments authentiquement tragique du film. Et ce n’est pas le seul procès du film : procès des jeunes musiciens, procès des amants, leur exécution montrent d’autres facettes du totalitarisme à l’œuvre.

Timbuktu est donc un film à voir : c’est une tragédie qui montre l’horreur de l’islamisme troublant l’ordre paisible d’une communauté musulmane sans offrir aucune autre issue que l’injustice et la mort dans une société totalitaire.

2 commentaires leave one →
  1. 30 janvier 2015 21 h 35 mi

    Merci pour votre analyse. J’espère que le succès critique de ce film lui donnera assez de visibilité pour que beaucoup aillent le voir et réfléchissent, en dépassant la simple consternation devant l’horreur. J’espère qu’il donnera envie de faire des efforts pour vivre ensemble en paix, et de les faire maintenant, parce qu’en France aussi on a besoin de faire des efforts à ce sujet !

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