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Pour une régulation mondiale de la finance

25 octobre 2011

Certains se demanderont pourquoi le Vatican parle d’économie (un début de réponse ici). En réalité, il n’y a rien de surprenant à cela. L’Église est experte en humanité, et rien de ce qui concerne l’homme ne lui peut lui rester étranger. Il n’y a donc rien d’illégitime à ce que le Vatican s’exprime sur des questions économiques même sur un registre un peu technique.

Le Conseil Pontifical Justice et Paix (qui n’est pas la Vatican…) a publié, lundi 24 octobre, une note pour une réforme du système financier international qui prend position fermement sur les principes tout en faisant un certain nombre de propositions concrètes. Selon  les termes du Conseil lui-même :

Cette Note constitue une réflexion qui « veut être une contribution offerte aux responsables de la terre et à tous les hommes de bonne volonté ; un geste de responsabilité non seulement envers les générations actuelles, mais surtout envers celles futures ; afin que ne se perdent jamais l’espérance d’un avenir meilleur et la confiance dans la dignité et la capacité de bien de la personne humaine ».

La proposition a retenu l’attention du monde économique parfois avec un réel intérêt, souvent avec une forme de condescendance amusée. La tribune ironise ainsi dans son titre sur la solution miracle du Vatican (tout en exposant dans l’article les propositions du Conseil Pontifical de manière bienveillante et objective). Ce texte a-t-il été écrit par des Bisounours ou bien a-t-il vraiment quelque chose à nous dire ?

Il faut d’abord relever avant d’aborder le fond que le texte émane du Conseil Pontifical Justice et Paix et non de Benoît XVI lui-même. Il reste que la cohérence est flagrante avec la pensée sociale du Pape exprimée dans Caritas in veritate. La responsabilité de ce conseil est d’ailleurs confiée au cardinal Peter Turkson nommé par Benoît XVI.

Il faut avouer que le diagnostic n’est pas très original. Il mérite toutefois d’être rappelé dans toute sa richesse dans la mesure où chacun tend à y voir ce qu’il a envie de voir. Les plus libéraux diront que seuls les excès d’un libéralisme incontrôlé sont critiqués ; les plus antilibéraux soutenant que le texte est une charge virulente contre le libéralisme. En réalité, si l’on ne peut pas dire que le texte soit une hymne au libéralisme, il ne conteste pas non plus les bienfaits d’une authentique liberté économique dépouillée de l’idéologie « économiste » (« une forme d’apriorisme économique »). Là où l’opposition au libéralisme est la plus évidente, c’est dans le rappel du caractère moral de l’action économique. Bien que Caritas in veritate ne mentionne à aucun moment le libéralisme, la Note fait référence à l’encyclique de Benoît XVI (n° 45) pour critiquer l’idéologie économique dominante :

Dans son encyclique sociale, Benoît XVI a identifié très précisément les racines d’une crise qui n’est pas seulement de nature économique et financière, mais avant tout de nature morale. En effet, observe le Souverain Pontife, pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne.

Plus encore que d’une critique du libéralisme, il s’agit plutôt d’une défense d’une authentique liberté économique qui ne peut être indifférente au bien commun et à la finalité de l’action humaine (fut-elle économique. V. également Jean-Paul II Centesimus annus, n° 36). Il faudrait alors s’interroger plus sérieusement sur les conditions de cette liberté (teasing de la mort…).

La proposition la plus ambitieuse de cette note tend à l’instauration d’une autorité internationale de régulation de la finance. Sur ce point, le Conseil Justice et Paix reprend une des idées institutionnelles évoquées dans Caritas in veritate (V. aussi n° 67) mais déjà dans Pacem in terris (n° 137) :

La mondialisation réclame certainement une autorité, puisque est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, être concrètement efficace (Caritas in veritate n° 57).

Cette demande illustre bien que la Note ne propose donc pas une forme de démondialisation mais invite à une meilleure mondialisation (J.-M. Guénois. – V. aussi Charles sur le rapport entre la Note et la (dé)mondialisation). Les bienfaits de la mondialisation ne sont pas niés (amélioration généralisé) mais pas davantage que les conséquences d’un accroissement des inégalités au sein des pays et entre pays. La tâche est loin d’être aisée ; sinon, ce serait fait depuis longtemps. La Note n’ignore pas la difficulté :

Il s’agit d’un processus complexe et délicat. Une telle Autorité supranationale doit en effet être structurée de façon réaliste et mise en œuvre progressivement; elle a pour but de favoriser l’existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces, c’est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un ordonnancement juridique approprié, fonctionnels au développement durable et au progrès social de tous, et s’inspirant des valeurs de la charité et de la vérité.

Le marché libre (toujours la même question… quand est-ce que l’on peut dire qu’un marché est libre?) et le développement durable comme le progrès social doivent être ordonnés au bien commun grâce à cette Autorité internationale (qui agira toutefois dans le respect du principe de subsidiarité).

Dans la suite de la Note, quelques pistes plus précises sont envisagées. Une réforme du système financier est proposée  avec pour objectif de garantir une certaine stabilité à la finance mondiale. Cela passera par un renouvellement des institutions issues de Bretton Woods. Le FMI n’assurant plus, selon les auteurs de la Note, cette mission, il faudrait envisager la création d’une sorte de Banque centrale mondiale encadrant le système des échanges monétaires mondiaux.

On notera surtout trois propositions plus concrètes. Tout d’abord, il est suggéré d’instituer une taxation des transactions financières (sur le modèle de ce que l’on nomme couramment taxe Tobin). Le produit de cette taxe pourrait être affecté à une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise. L’idée n’est pas originale mais reste séduisante même si l’on sait qu’elle n’a qu’une portée pratique limitée et n’est peut-être pas dépourvue d’effets pervers.

Ensuite, la Note propose de soumettre la recapitalisation de banques à la condition que les bénéficiaires des fonds publics adoptent des « comportements vertueux » et orientés vers le financement de l’économie réelle. Les premiers commentaires ont peut-être trop insisté sur la recapitalisation par des fonds  publics (qui devrait en elle-même être problématique me semble-t-il) et pas assez sur les conditions qui sont posées. Il restera à déterminer ce qu’est un comportement vertueux pour une banque et à délimiter ce qui constitue l’économie réelle. Sans doute faudra-t-il revenir à une conception plus concrète du financement et abandonner les abstractions excessives de la finance de marché trop éloignées des actifs tangibles utiles aux entreprises et aux particuliers. Cela ouvre de belles perspectives aux recherches sur de nouveaux déterminants de la finance (autre teasing de la mort) dans le cadre de ce que l’on appelle (un peu vaguement) la finance éthique.

Enfin, la Note propose de réfléchir à la séparation des activités d’investissement et de crédit. La distinction est largement ignorée en France mais elle a structuré la vie bancaire pendant près d’un demi-siècle aux États-Unis (Glass-Steagall Act de 1933 abrogé en 1999 après avoir été allègrement contourné par la pratique).

Il faut lire la Note; sans forcément y chercher ce que l’on aimerait y lire et sans la surinterpréter, même si c’est un texte important (V. ici). Il est sans doute un peu illusoire de croire que ce texte pourra devenir une sorte de manifeste pour les indignés du monde entier. Il est également excessif de voir dans ce document une charge contre le néolibéralisme. La doctrine sociale de l’Église n’est certainement pas libérale mais elle est favorable à la liberté économique. Elle n’est pas dirigiste mais favorable à un juste ordonnancement de l’activité économique. Bref, elle n’est pas constituée pour se faire des amis…

Le texte du Conseil Pontifical Justice et Paix est vraiment intéressant car il cherche à concrétiser cette pensée sociale même si l’on peut craindre qu’il relève à nouveau du témoignage. Il n’ignore pas les obstacles qui se dressent pour empêcher la mise en œuvre concrète de ces idées. On peut également se demander si la méthode est la bonne. D’une part, certains soutiendront que le rôle de la doctrine sociale n’est pas de rentrer dans de telles considérations pratiques et que les compétences économiques des membres d’un Conseil Pontifical sont approximatives. Cette première critique serait toutefois excessive car la rédaction de la Note, sous la responsabilité du Cardinal Turkson dont on reconnait d’ordinaire la bonne culture économique, s’est accompagnée des consultations nécessaires à une prise de position sur un sujet très technique.

Reste, d’autre part, un vague sentiment de déjà vu. Il n’est pas nécessaire de rechercher l’originalité à tout prix mais le cadre général de la réflexion laisse un peu perplexe. Ce cadre reste celui des institutions internationales composées d’États-nations au sens le plus classique. Sans doute, la conclusion de la Note exprime-t-elle un doute sur l’action des États modernes. Sans doute, la référence au principe de subsidiarité invite-t-il à penser l’articulation du global et du local. Le rôle spécifique de l’Église et des chrétiens notamment n’est guère mis en évidence. Ce n’était sans doute pas l’objet de la Note mais il faudra explorer des pistes nouvelles dans le prolongement de Caritas in veritate et en écoutant ce que certains théologiens politiques peuvent nous apprendre (Cavanaugh bien entendu…).

12 commentaires leave one →
  1. Boutros permalink
    27 octobre 2011 0 h 05 mi

    Bonjour,

    Comment vous contacter ?

    Je vous remercie,

    Boutros

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  2. Robert permalink
    27 octobre 2011 11 h 01 mi

    C’est une bonne idée d’inciter à lire la Note : vous pourriez d’ailleurs user vous-même de cette idée.
    Vous passez sous silence les très fermes condamnations du libéralisme qui font le début de la Note : tout au plus selon vous cela se limite-t-il à une mise en garde contre les excès du libéralisme. Il s’agit en réalité d’une condamnation générale de l’esprit libéral. Vous croyez que l’apologie des marchés qui y est faite est destinée à sauver quand même le libéralisme : c’est que vous êtes persuadés que le libéralisme a inventé les marchés, ce qui est une grossière erreur.
    Enfin, vous ne voyez pas la véritable originalité de la fin, qui est aussi une condamnation des Etats modernes westphaliens, et un appel à une nouvelle société « polyarchique ». Rien que de banal, bien entendu…

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    • 27 octobre 2011 18 h 09 mi

      Je pourrais presque sourire d’un tel commentaire en repensant à ma réputation d’antilibéral qui se fait étriller en conséquence depuis des mois sur twitter et ailleurs. Il est vrai que (pour une fois allais-je dire…) j’ai essayé d’être nuancé. Cela m’apprendra !
      Je vous invite à relire mon billet d’ailleurs. Il y a effectivement dans la Note une critique fondamentale du libéralisme et comme vous le dites justement de son esprit (une liberté sans sens ni finalité). Cela dépasse la simple dénonciation des excès du libéralisme. J’ai par ailleurs insisté sur la cohérence qu’il y a entre la note et Caritas in veritate, ce qui me semble être la meilleure façon d’assurer le succès de la Note. Je n’en nie pas l’originalité : je la replace dans son contexte et tente de montrer ce qui m’a le plus marqué (les propositions concrètes).
      Quant à la critique de l’étatisme, elle me semble mesuré et ambiguë. Dire cela pour moi ne signifie pas que je tente de contenir une critique qu’en réalité j’aurais préférée plus nette. Etait-ce possible ? Je ne suis pas sûr que la démarche aurait été la même si la Note s’était davantage éloignée de l’étatisme traditionnel.
      Bon, même si votre commentaire est assez injuste, je ne vous en veux pas… revenez quand vous voulez (et au passage allez lire un ou deux autres billets notamment sur Cavanaugh…). Et puis vous allez voir ce que vous allez voir ! J’ai un petit billet sur le libéralisme en général qui va bientôt être mûr… (reteasing de la mort).

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  3. Elie permalink
    27 octobre 2011 17 h 38 mi

    J’ai lu ce texte et j’ai trouvé qu’il était un condensé de la démagogie la plus vile et pernicieuse que l’on puisse imaginer.
    Ca dégouline de gauchisme et de socialisme trompeur.

    Le CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX, qui comme sont nom l’indique, est logiquement chargé de promouvoir la justice et la paix, souhaite la création d’une banque centrale mondiale. Rien que ça !

    Ce texte ne parle pas des armées d’occupation qui sont sur le sol
    des Européens, ni des récentes guerres et injustices, comme les conflits au moyen-orient ou l’émission de dollars à la tonne !

    Pourtant, les Bases US en Allemagne, au Kosovo , etc … sont des réalités difficiles à masquer … Lorsqu’on prétend œuvrer pour la justice et la paix, il me semble que la moindre des choses, c’est d’aborder aussi ces sujets..

    Je suis allé voir qui présidait ce conseil œuvrant pour un gouvernement économique mondiale ? Comme pour les américains, les mondialistes ont pensé que c’était une bonne idée de placer un représentant de couleur pour faire le salle boulot.
    ( http://www.30giorni.it/upload/articoli_immagini_interne/1135187849214.jpg )

    A propos de la justice, le fait de ne pas aborder le problème de l’usure et des intérêts a fini de me convaincre. Tout ceci n’est vraiment pas sérieux. L’usure n’a plus aucune utilité sauf celle de concentrer les pouvoirs dans le haut de la pyramide.

    Ce conseil pontifical est donc, à l’évidence, l’un des membres gangrénés de l’Église actuelle.

    Le temps sont vraiment durs pour les Catholiques.
    Loué soit le Seigneur, ils sont forts dans l’adversité.

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    • 27 octobre 2011 18 h 23 mi

      Bon comment dire…. je ne comprends pas vraiment ou vous voulez en venir. Démagogie et socialisme ? Je ne pense pas. Ou sinon, Caritas in veritate est aussi socialiste ! Sur l’usure, je ne comprends vraiment pas. Il est vrai que la question est intéressante et mériterait un traitement particulier. L’Eglise a toutefois renoncé de se prononcer depuis longtemps sur ce point.

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  4. Elie permalink
    28 octobre 2011 9 h 42 mi

    Décidément, vous semblez ne pas comprendre grand chose. A ce niveau, je me demande s’il n’y aurait pas une once de mauvaise volonté ou de mauvaise foi de votre part.

    La justice et l’équité comme étendard pour gagner une banque centrale mondiale chargée de faire peser le poids de l’usure sur le monde, ça ne vous choque pas ? Vous ne comprenez pas que cela puisse choquer ?

    La paix comme étendard pour justifier la construction d’une banque, organisme Oh combien mêlé dans les multiples guerres qui ont ravagé l’Europe, ça ne vous choque pas non plus ?

    Alors, veuillez m’excuser, apparemment, je me suis égaré et suis arrivé sur le mauvais blog.

    Comment dire… Je pense que votre degré de tolérance à la bêtise et au mensonge est trop grand et que vous devriez retrouver le caractère de nos ancêtres. et l’amour du réel et du juste.

    Bonne continuation.

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  5. Elie permalink
    29 octobre 2011 11 h 26 mi

    Oui, effectivement, mauvaise pioche… dans vos mains. Mais ça, vous finirez bien un jour par vous en rendre compte, je ne désespère pas. L’austérité et les troubles qui s’annoncent ne vous laisseront pas grand choix de toutes façons. Vous serez contraint de reprendre contact avec la réalité.

    Veuillez noter qu’Il faut tout de même une immense dose de mauvaise foi ou d’aveuglement pour prôner la subsidiarité et dans le même document, demander l’établissement d’une banque centrale mondiale. L’UE en est le parfait exemple puisqu’elle était sensé produire la même chose … Personne ne peut ignorer les dégâts de la supranationalité, car nous la subissons chaque jour que Dieu fait. ( rappel : http://www.youtube.com/watch?v=DsDd-uP7yl0 )

    Dans les faits, le principe de subsidiarité se révèle incompatible avec la supranationalité. Et puis, même l’Église n’est pas supranationale, alors comment saurait-elle que ce principe est juste quand sa propre histoire est une série d’échec sur ce plan et qu’elle démontre le contraire ?

     » Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes  » . Bossuet.

    Cette fois, je vous laisse avec vos certitudes illusoires.

    Que Dieu vous garde.

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  6. Aristote permalink
    4 novembre 2011 21 h 15 mi

    Le rêve d’une institution qui n’aurait que des anges en son sein…

    La confusion entretenue entre le choix d’une économie de marché et l’adhésion aux thèses extrêmes du libéralisme philosophique.

    Heureusement que le poids doctrinal de tels textes est insignifiant !

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  1. A propos de la note du Conseil Pontifical Justice et Paix | Chrétienté Info | Eglise Catholique

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