Aller au contenu principal

L’apostasie c’est maintenant ?

26 avril 2013

Le baptême est-il devenu une prestation de service comme une autre pour nos contemporains ? Les demandes apparemment paradoxales de certaines personnes seraient le symptôme d’une perte de sens du sacrement de baptême vu uniquement comme service proposé par l’Église et acte d’adhésion à une sorte d’association. Comment comprendre la coexistence d’une revendication du droit au baptême et des demandes de débaptême ? Le sujet de l’apostasie, car c’est de cela qu’il s’agit, est revenu d’actualité cette semaine à la suite d’une lettre ouverte sur un blog. Je n’aborderai pas le cas particulier car je pense sincèrement que ni la lettre, ou du moins sa publication, ni les réactions qu’elle a suscitée n’étaient opportunes et mesurées. Peut-être plus significatif est le lancement d’un site proposant l’apostasie pour tous en quelques clics. C’est en fait une sorte d’apostasie pour les nuls. Évidemment, je ne parlerai que du baptême chrétien et plus particulièrement catholique ; je ne traiterai pas du baptême républicain même si ça pourrait être amusant de se demander ce qui se passerait si les quelques personnes concernées par cette pratique venaient un jour à demander leur débaptême républicain. Trêve de mauvais esprit…

Apostasie ? Ce n’est pas un gros mot, ni une maladie… L’apostasie est une certaine façon de s’éloigner de Dieu (Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, Q. 12. –  le mot vient du grec et signifie précisément s’éloigner de et a été utilisé pour désigner la désertion semble-t-il). Comme il y a plusieurs façons d’être proche de Dieu, il y a plusieurs formes d’apostasie et notamment il est possible d’apostasier en s’éloignant des préceptes de dieu sans pour autant s’éloigner tout à fait de la foi. La distinction est importante.

Le droit canonique contemporain reconnait et encadre la possibilité d’exprimer publiquement la défection d’un fidèle. Le Code de droit canonique de 1983 (dont on célèbre donc le trentième anniversaire) fait ainsi un acte formel de défection dit actus formalis defectionis ab Ecclesia catholica (Conseil pontifical pour les textes législatifs). L’apostat de la foi est exclu de plein droit de la communion de l’Église : il est excommunié latae sententiae (CIC, can. 1364 §1). Les funérailles chrétiennes ne seront pas envisageables (CIC, can. 1184) et le mariage à l’église peut être fermé si l’autre conjoint n’est pas baptisé ou est lui-même apostat (CIC, can. 1117). Ce n’est donc pas un acte anodin.

Toutefois, même une fois la personne rayée des registres de baptême, la grâce demeure:

le lien sacramentel d’appartenance au Corps du Christ qui est l’Église, donné par le caractère baptismal, est un lien ontologique permanent, et aucun acte ou fait de défection ne le fait s’évanouir (Conseil pontifical pour les textes législatifs, §7).

En outre, et surtout, si j’ai bien compris (ami canoniste n’hésite pas à me corriger – fraternellement of course-), cet acte aux conséquences graves suppose une apostasie de la foi. Comme le rappelle le Conseil pontifical pour les textes législatifs :

L’acte juridique et administratif d’abandon de l’Église ne peut pas constituer à lui seul un acte formel de défection au sens du Code de Droit Canonique, puisque pourrait subsister la volonté de persévérer dans la communion de la foi (Conseil pontifical pour les textes législatifs, §3).

Autrement dit, il faudrait distinguer entre les différentes formes de demande de débaptême. Certaines, sans doute la plupart, sont motivées par un rejet de l’institution ecclésiale et non par un éloignement de la foi (certaines sont motivées également par la conversion à une autre religion notamment à l’Islam même si cela n’est pas nécessaire). Par conséquent, elles ne seraient pas des défections radicales. La subtilité échappera peut-être à beaucoup mais cela me semble important notamment quant à la pastorale à mettre en œuvre pour répondre à ce phénomène.

L’apostat peut réintégrer la pleine communion de l’Église en faisant une déclaration de volonté qui sera mentionnée en marge de son acte de baptême.

Au regard du droit civil, l’apostasie n’existe pas. Pourtant, les demandes de débaptême ont pris une forme juridique laïque dernièrement. L’articulation entre la pratique canonique et le droit civil a fait surgir une difficulté. En effet, à strictement parler, l’apostasie doit faire l’objet d’une mention sur le registre de baptême. Certaines personnes ont toutefois demandé que toute mention de leur baptême soit effacée des registres notamment sur fondement de la loi du 6 janvier 1978 relative dite informatique et liberté.

Deux textes peuvent être invoqué. Tout d’abord, en application de l’article 40 de cette loi,

Toute personne physique justifiant de son identité peut exiger du responsable d’un traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la communication ou la conservation est interdite.

Mais par ailleurs, il est également prévu que

Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement (L. informatique et liberté, art. 38).

Pour autant, au regard des règles civiles, le curé de paroisse ou le diocèse doit-il non seulement mentionner l’apostasie mais aussi, lorsque la personne le demande effacer toute trace du baptême lui-même dans ses fichiers ? Cette question a entraîné la saisine du juge dans l’affaire Loubier et la condamnation du diocèse de Coutances à modifier ses registres. La demande était toutefois fondée essentiellement sur le droit au respect de la vie privée et la loi de 1978 : la religion relevant le vie privée, la mention sur les registres porte atteinte au droit de la personne au respect de sa vie privée. La motivation était approximative cependant dans cette affaire : d’une part, le caractère privé de l’information était contestable (même s’il est admis que la religion fait effectivement partie de la vie privée) ; d’autre part, les tiers n’ont pas accès au registre de baptême aussi facilement que le laisse entendre le jugement.

Peut-on alors déduire des dispositions de la loi de 1978 l’existence d’un droit à la radiation des registres de baptême ? A la limite, on pourrait prétendre que la mention ne correspond plus à la réalité et qu’elle est devenue inexacte ; ce qui fonderait une demande de rectification voire d’effacement sur le fondement de l’article 40 de la loi informatique et liberté. Pourtant, cette interprétation n’est pas convaincante car le registre de baptême n’est pas à strictement parler la liste des chrétiens mais la preuve d’un acte qui a effectivement eu lieu. On ne pourrait obtenir la radiation que s’il était établi que le baptême n’a pas eu lieu. A mon avis, la demande d’effacement du baptême fondée sur l’article 40 de la loi n’est pas justifiée. Le serait-elle sur le fondement de l’article 38 de la même loi ? Cela supposerait que le demandeur établisse un motif légitime. Or, dès lors que la demande a pour objet de ne plus apparaître comme membre de l’Église, il ne semble pas nécessaire de procéder à la suppression de la mention du baptême. La mention en marge suffit à atteindre le résultat recherché. Par conséquent, il ne me semble pas que la demande de débaptême impliquant l’effacement de la mention du baptême soit justifiée en droit. Ce serait d’ailleurs la position de la CNIL…

Il faut évidemment entendre ces demandes et tenter d’y répondre même si c’est souvent trop tard lorsqu’elles arrivent sur le bureau du diocèse. Trouver une solution ne sera pas aisé tant l’épidémie révèle en fait une défaite culturelle dont l’Église n’avait pas anticipé l’ampleur. On pouvait se rassurer en ce disant que cela n’aurait qu’un temps et que les jeunes générations qui n’ont vécu que sous l’influence de Vatican II et bénéficié de l’enseignement de Jean-Paul II (en gros ceux qui ont moins de quarante ans aujourd’hui) serait immunisé contre des réflexes de type soixante-huitard. C’est ce que je croyais en voyant notamment les jeunes couples autour de moi. Je crains de m’être trompé… Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas en étant moins chrétienne ou en se soumettant au monde que l’Église remplira mieux sa mission d’évangélisation. C’est en étant plus chrétiens que les fidèles seront de meilleurs défenseurs de la foi.

Et c’est là qu’on touche, à mon humble avis, une des principales difficultés de l’apostasie contemporaine. Par certains cotés, cette forme d’apostasie présente un vice assez comparable au pharisaïsme de beaucoup de nos coreligionnaires, notamment ceux qui manient un peu rapidement l’excommunication, et, pour tout dire, d’une part de nous même. A force de donner notre foi à des idées ou des valeurs, nous nous battons pour elles ou contre celles des autres (cette seconde version permet de se dispenser d’en avoir des vraies à soi). C’est aussi l’ambiguïté du discours politique chrétien : en réponse, certains font de leur demande de débaptême un acte politique. Le problème est que le chrétien ne se définit pas par ses idées ou ses valeurs (comme nous le répète à temps et à contre temps mon curé) mais par sa foi, sa confiance, placée dans une personne. Le site de promotion de l’apostasie pour les nuls est un modèle du genre : il présente l’apostasie comme le reniement d’une doctrine ou d’idées. Il illustre combien l’apostat moderne n’est pas nécessairement un apostat de la foi mais aussi à quel point il a perdu le sens de l’appartenance à l’Église et de la vie chrétienne. Le chrétien ne suit pas des idées ou une morale mais une personne.

5 commentaires leave one →
  1. 26 avril 2013 15 h 32 mi

    Tu sais où en est l’affaire qui était en appel du côté de Caen ? Je crois que le procureur s’était prononcé en appel contre l’effacement total ?

    J’aime

    • 26 avril 2013 16 h 09 mi

      Je ne sais pas si l’arrêt a été rendu. Je ne pense pas (il n’y a rien sur mes bases de données habituelles). Apparemment oui le PG serait d’avis qu’il n’y a pas lieu de contraindre l’évêque à effacer le nom du sieur Lebouvier; ce qui semble mettre hors d’eux nos amis libres penseurs! Si je connaissais quelque prêtre de la Manche, je me renseignerais…

      J’aime

      • David permalink
        26 avril 2013 19 h 15 mi

        heureusement que tu n’en connais pas. OUf.

        J’aime

  2. Curmudgeon permalink
    29 avril 2013 20 h 47 mi

    « Le chrétien ne suit pas des idées ou une morale mais une personne. » Pourquoi cette opposition ? Si on la prend au sérieux, pourquoi tout ce multi-séculaire bavardage sur la théologie, sur les docteurs de l’Eglise, pourquoi les catéchismes ? Cette opposition est artificielle, et elle dessert gravement le message chrétien.

    Dans le Nouveau Testament, le mot « didaskalos » (maître, enseignant, docteur) est employé 58 fois, y compris 47 fois pour Jésus lui-même dans les évangiles. C’est tout simplement l’équivalent de « rabbi », qui est utilisé 15 fois pour Jésus, lequel n’a jamais rejeté ce nom. Il faut donc croire que Jésus communiquait des messages. Cette donnée est indissociable de ce qu’il était.

    J’aime

Trackbacks

  1. De l’apostasie de @Catnatt | numero 712

Laisser un commentaire