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We need to talk about Mohamed…

26 mars 2012

Quel est le secret du crime monstrueux ? Cela reste un mystère comme le pendant obscur de l’amour. Qui aurait pu éviter cela ? La cause des actes monstrueux dont une personne peut se rendre coupable est-elle psychologique ? sociale ? génétique ? La criminologie tente depuis son origine d’expliquer (ce qui n’est pas justifier) l’acte criminel. Dès les premiers temps de la discipline, avec Lombroso notamment, la question s’est posée. Y-a-t-il des criminels nés ? La société pousse-t-elle au crime ? La prison est-elle un école du crime ? Quelle est la part de la responsabilité personnelle et de la détermination sociale ou psychologique ? Cela fait beaucoup de questions qui ne peuvent que rester sans réponse. Ici comme souvent, la fiction permet d’approcher une vérité qui se dérobe souvent à la recherche plus scientifique. We need to talk about Kevin offre une analyse précise et sombre du mystère du crime monstrueux. A l’origine, il s’agit d’un roman de Lionel Shriver. Il a fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Lynne Ramsay avec Tilda Swinton (Eva) et Ezra Miller (Kevin).

Une grande partie de l’interrogation tourne autour de la relation de Kevin avec sa mère. On peut en venir à se demander, comme le chroniqueur du Monde, si le monstre n’est pas la mère. Il est vrai qu’elle n’a pas l’amour maternelle chevillé au corps. Elle en serait conduite ainsi à se demander si elle n’a pas fantasmé la monstruosité de son fils pour justifier son absence d’amour maternel. Le film laisse toutefois clairement voir un petit psychopathe. Je manque peut-être d’imagination mais s’il y a un monstre, je vois bien quel personnage s’en rapproche le plus… En tout cas, il n’y a pas de doute sur celui qui a commis l’acte le plus monstrueux.

Le sentiment de culpabilité de la mère, dont on tend à adopter le point de vue (surtout dans le livre où nous lisons la correspondance qu’elle adresse au père dont elle est séparée), doit être infini ; il est un fardeau quasiment impossible à supporter. Dans We need to talk about Kevin, Eva, la mère a bien du mal à ôter la peinture dont est maculée sa maison. Le rouge omniprésent et si tenace symbolise évidemment le sang versé mais aussi la culpabilité dont on peine à se défaire même si l’on n’est pas soi même le criminel.

Certainement Kevin a-t-il voulu faire peser sur sa mère une culpabilité extrême : ne l’a-t-il pas épargnée (dans le film) alors qu’il a tué son père et sa sœur. Il y a là d’ailleurs une adaptation importante par rapport au livre où il tue plusieurs camarades et un prof. Sans répondre finalement à la question du pourquoi le film (comme le livre pour ce que j’en sais) laisse entier le mystère du mal. S’il n’y a pas de criminel né, contrairement à ce que pensait Lombroso, l’explication du mal reste toujours incomplète. Le passage à l’acte criminel est toujours le résultat d’un ensemble de causes complexes. Dans le roman, plus que dans le film, apparaît une mise en cause d’une éducation laxiste qui ne pose pas les quelques interdits nécessaires (à propos du livre).

La rédemption est-elle possible ? Peut-on parfois désespérer de la personne ? En réponse à ces dernières questions certains répondent implicitement en défendant la peine de mort. J’ai déjà dit ici ou que cela ne me semblait pas tenable tant au plan chrétien qu’au plan simplement humain. Qui a lu honnêtement L’étranger de Camus ne peut pas s’imaginer que la peine de mort soit une réponse juste. Charles Vaugirard a dit des choses très sensées dernièrement à la suite des propos d’une candidate à la présidentielle. Cela rejoint également le passage du discours de l’abbé Lemire sur la peine de mort que je citais dans mon précédent billet.

Le procès même, surtout en réalité, s’il ne conduit pas à la peine de mort est un temps de purification. Bien sûr, il y a des erreurs judiciaires. Bien sûr, la justice est un art difficile. Il reste nécessaire pour tenter de résoudre au mieux la tension, le désordre, causés par l’acte criminel. Dans We need to talk about kevin, la détention semble révéler Kevin à lui-même et l’ouvrir enfin à une relation avec sa mère. Le procès lui a-t-il permis de prendre conscience de son acte ? Peut-il faire naître un début de conscience morale qui semblait faire défaut au monstre? La dernière visite d’Eva à son fils, deux ans après « ce jeudi » laisse entrevoir la possibilité d’un éveil moral chez Kevin et le début de l’amour maternel chez Eva. Peut-être dira-t-il pourquoi il a commis un tel crime. Peut-être le fait qu’il ne soit plus sûr de la raison de son geste est-il un début de remords, une ouverture vers une possible rédemption.

L’absence de procès est toujours la cause d’un profonde frustration pour le juriste et, sans doute, pour tous ceux qui aiment la justice. Le décès d’un suspect ouvre la voie à tous les fantasmes que permet la mise en congé de la vérité. Seuls quelques journalistes collecteront quelques jugements rapides et des demi-plaidoiries d’avocats privés de prétoire.

L’art permet parfois de comprendre la vraie vie mais celle-ci reste toujours infiniment plus cruelle. Elle laisse chacun à ses interrogations et à sa peine.

2 commentaires leave one →
  1. Hélios permalink
    26 mars 2012 20 h 22 mi

    Je ne crois pas du tout aux motivations idéologiques.

    Cet homme s’est marginalisé peu à peu comme le montrent bien les éléments de son histoire. Marginalisé. Il se sent sans avenir. Il n’a rien à perdre.

    Cette idée-là me paraît essentielle. Il n’a rien à perdre. Ensuite, il me semble que tout le reste vient s’agréger sur cette marginalisation progressive : l’idéologie, les voyages au Pakistan etc.

    Donc, il y a certainement beaucoup de M. M en France mais sans lien avec un fascisme vert ou blanc ou rouge. Tout cela, c’est un badigeon qui masque l’essentiel : la marginalisation et la réaction de se dire : « Je n’ai plus rien à perdre. Donc, il peut tout faire même les pires exactions. C’est cela qui est terrible. Car, ce serait trop simple d’aller arrêter les imams qui prêchent le djihad. ce qui a sans doute manqué, c’est un suivi psychologique au sortir de la prison. Il y est quand même resté 17 mois, ce n’est pas rien….Hélios

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  2. Hélios permalink
    27 mars 2012 11 h 57 mi

    j’ajoute à mon commentaire d’hier, que M.M est un « garçon perdu », sans repères, du coup il y a un fond psychologique très fragile, ébranlé.

    Des M.M en puissance, il y en a beaucoup dans les collèges des zones prioritaires. Le fond est bon mais ils sont gangrenés par tout ce qu’ils vivent. Inutile de dire que ces évènements sont reproductibles malheureusement. Le mal est dans tout homme à plus forte raison dans ces êtres fragiles. L’essentiel serait de les encadrer. des prêtres de loubards, voilà ce qu’il faudrait, je pense.

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