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Ce n’est qu’un début… continuons le débat !

14 novembre 2012

Faut-il débattre de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ? Peut-on même en débattre ? Pourquoi débattre d’une telle éventualité ? Je suis sans doute négligent mais je ne suis pas sûr que ces questions aient été réellement posées depuis quelques semaines. Sans doute, nombreux sont ceux qui, pour ou contre le projet gouvernemental, demandent l’ouverture d’un débat, d’un vrai débat en société comme on dit. Mais pourquoi débattre alors que la question semble déjà tranchée ?

Oui pourquoi ? Le gouvernement a beau jeu d’affirmer que les Français ont déjà tranché ! C’est la logique démocratique. Qui n’a pas remarqué que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe faisait partie des propositions du candidats Hollande (Proposition n° 31). Lui Président, il ne faut pas s’étonner qu’il mette en œuvre une (au moins) de ses promesses électorales. On  reproche assez souvent aux hommes politiques leur duplicité et la violation de promesses faites pour emporter les suffrages du peuple. Alors quoi ? Le peuple a ce qu’il veut ! Ou presque… cela supposerait que les Français aient vraiment voulu porter Hollande au pouvoir et non essentiellement mettre Sarkozy à la retraite. Cela supposerait que ce point ait été vraiment pris en considération par les électeurs. Or, rien n’est moins sûr… même les catholiques, dans leur grande majorité, n’accordaient guère d’importance à ce point pendant la campagne. Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, les Français ont encore donné une majorité nette au camp présidentiel à l’occasion des élections législatives. Vous voyez bien ! Ils savaient ce qu’ils faisaient nos concitoyens. La démocratie représentative a fonctionné : les représentants du peuple souverain vont élaborer les lois nécessaires à la mise en œuvre du projet présidentiel. Le débat aura lieu dans l’enceinte parlementaire. N’est-ce pas ce qui se fait en démocratie ? La majorité votera le projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe : fin de l’histoire…

Des grains de sable peuvent venir enrayer cette belle mécanique démocratique, sans que l’on sombre pour autant dans la dictature. Les parlementaires peuvent prendre conscience subittement de l’erreur qu’ils s’apprètent à commettre. Il faudra sans doute un paquet de neuvaines pour obtenir ce genre de miracle. Il faudrait surtout faire sortir le débat du demi cercle (hémicycle) parlementaire. C’est précisément ce que souhaitent ceux qui demandent un débat. Ce serait d’ailleurs assez conforme à une certaine modernité démocratique qui dépasse les apories du rousseauisme, balançant entre démocratie radicale et totalitarisme plus ou moins doux. Le décisionisme de Rousseau, pour lequel l’origine formelle de la décision suffit à la rendre légitime, est sérieusement battu en brêche notamment par la promotion de la démocratie délibérative d’Habermas (V. par exemple les Etats généraux de la bioéthique). L’ouverture du débat est une source de légitimation de l’action politique, une garantie contre l’arbitraire et l’autoritarisme. Pourquoi alors un démocrate aurait-il peur du débat (ici aussi) ?

Mais que signifie alors débattre ? Il y a plusieurs formes de débats dont les rôles différent fondamentalement. Pour l’essentiel, je me contenterai de distinguer le débat pour convaincre et le débat en vue d’une prise de décision. Ce n’est absolument pas scientifique mais me semble éclairant pour comprendre ce que peut être le débat que beaucoup attendent sans trop savoir quelle forme il pourra prendre. Lorsqu’un groupe de personnes doit prendre une décision, il peut en délibérer afin de dégager une position commune (adoptée selon des modalités variables qui restent hors de mon propos à ce stade). Le débat est un échange de vues destiné à faire apparaitre une opinion acceptable résultant d’ordinaire d’un compromis entre différentes opinions. Ce type de débat a lieu au sein du groupe qui doit prendre la décision. Ce sera le cas du débat parlementaire.

Le débat peut avoir pour simple objet de convaincre ou tout au moins d’échanger des arguments rationnels sans qu’une décision vienne nécessairement clore le débat. C’est le cas du débat scientifique, de la controverse intellectuelle ou du débat de société. C’est ce débat que les opposants à la réforme du gouvernement attendent. Politiquement minoritaires dans les instances de décisions, tout ce qu’ils peuvent espérer  est d’être libres d’exprimer leur opinion et d’avoir une chance de convaincre. Il ne s’agit pas, en principe, de participer à la prise de décision, ni de rechercher une position de compromis. Ce type de débat devrait ête aussi ouvert que possible et,  même si cela en dérange certains l’Eglise catholique est légitime à intervenir. En France, au XXIe siècle, la liberté d’expression est réelle même si elle est menacée par une forme de tolérance intolérante et par un nouveau conformisme progressiste qui parvient assez efficacement à cloturer le champ du débat et à réduire au silence certaines opinions. A bien y regarder le débat est déjà engagé même s’il reste fragile.

Ces deux formes de débats ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre, au contraire. Le problème dans le cas de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe tient au fait qu’il n’y a rien à décider. Les définitions du mariage et, surtout de la filiation, ne dépendent pas de la volonté du législateur. Quand je parle du législateur, je vise autant le législateur ordinaire (le Parlement) que du souverain (le peuple se prononçant par référendum), même dans l’exercice de son pouvoir constituant (ce qui, à mon sens, rend assez vain en définitive  l’invocation d’un principe constitutionnel de protection du mariage hétérosexuel). Même si l’on admet la variabilité des conceptions de la famille dans le temps et dans l’espace, aucun des peuples aux pratiques totalement étrangères à la conception occidentale du mariage et de la filiation traditionnels n’a délibéré pour définir ses structures familiales. Une telle idée ne pouvait précisément germer que dans l’esprit brillant mais parfois tordu de l’homme l’être humain occidental. Le débat doit avoir lieu dans la société et non seulement au Parlement pour faire apparaître à quel point le législateur sort ici de son champ de compétence et provoquera nécessairement un bouleversement de la société . Les effets négatifs, aussi bien symboliques que psychologiques ou juridiques et sociaux,  de la loi projetée par le gouvernement ne seront que la conséquence de cette incompétence fondamentale. Le débat aura pour objectif d’éclairer les raisons et les consciences, pas de négocier un compromis.

Ce n’est qu’un début… continuons le débat !

10 commentaires leave one →
  1. Anne permalink
    14 novembre 2012 17 h 47 mi

    Si j’ai bien compris, il faut débattre non pas pour convaincre mais pour éclairer les consciences. Le débat ne sera pas vain car il aura le mérite de donner mauvaise conscience à certains parlementaires qui se prononceront néanmoins en faveur de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. On aura donc une loi votée mais sans conviction mais qui aura pour effet de bouleverser la société. (Alors qu’une loi qui bouleverse la société mérite une beaucoup plus grande adhésion pour être légitime)

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    • 14 novembre 2012 18 h 45 mi

      Non, il faut tenter de convaincre (même sans grand espoir) mais sans rechercher de compromis. Il ne s’agit pas de participer à la décision. Quant à la légitimité, personne ne l’a en réalité sur ces questions…

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  2. 14 novembre 2012 19 h 05 mi

    Un point en filigrane dans ton billet mais que je crois important de souligner est le risque de la fausse légitimité procédurale : parce que j’aurais 50%+1voix, j’ai absolument raison et l’autre a absolument tort.

    Une démocratie saine, sur ce genre de question, ne devrait pas pouvoir se contenter d’un vote à la majorité simple.
    – Quand un texte a été voté à l’unanimité (par ex. Loi Leonetti), est-ce juste qu’il soit révisé à 1 voix d’écart ?
    – Je ne t’apprendrai pas qu’au Concile Vatican II, Paul VI a renvoyé sur l’ouvrage un texte pourtant vote par 1997 voix contre 224 (le texte révisé obtint in fine 2308 voix en sa faveur et 70 voix contre).

    Voilà le type de consensus qu’une démocratie qui se prétend mûre devrait s’honorer à rechercher.

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  3. Anne permalink
    14 novembre 2012 20 h 09 mi

    Donc pour toi, il faut prendre part au débat et (oser) dire ce que l’on pense, même si c’est en vain, et sans même penser au résultat. Peu importe le résultat, ce qui compte c’est d’être là. Intéressant.

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    • 14 novembre 2012 20 h 42 mi

      C’est ça. Même si j’ai eu beaucoup de mal à me faire une opinion sur ce point. Pour tout dire, on me reprochait même mon défaitisme… tu pourrais constater que c’est mon premier billet depuis presque six mois sur le sujet.

      Sur l’être là, je te renvoie à la citation de Maritain que Koz met en exergue sur on blog (en bas) : « L’important n’est pas de réussir, ce qui ne dure jamais, mais d’avoir été là, ce qui est ineffaçable ». Si par extraordinaire, notre opinion l’emporte, ce serait pas mal non plus !

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