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Le feuilleton bioéthique (S3ep1)

9 février 2011

Les débats en séance publique sur le projet de loi relatif à la bioéthique ont commencé hier à l’Assembée nationale (ici et ). Le texte élaboré par la Comission spéciale contient quelques surprises parfois plutôt bonnes comme l’invitation à des recherches plus éthiques (amendement Breton) que la recherche sur les cellules souches ou, dans une certaine mesure, le maintien de l’anonymat du don de gamètes. D’autres fois, plus alarmantes comme le projet d’autoriser l’implantation d’embryon post mortem (nouveau symptôme de postéromanie) sans parler à nouveau de la poussée eugénique liée à la systématisation du DPN (déjà abordée ici et ) qui a suscité de nouveaux accrochages lors cette première séance publique consacrée à la discussion générale.

Ces premiers débats en séance publique ont été très instructifs même si sur le fond il n’y a guère de surprise pour le moment. D’abord, le ton était vif ; les échanges parfois viriles. Un petit appel au calme a parfois été nécessaire, notammant lors de la discussion sur la demande de renvoi en commission soutenue par le député de Rugy. Certaines prises de position courageuses, notamment de la part du député Hervé Mariton, ont été l’occasion d’apostrophes qui dérivaient vers la parenthèse… Au-delà du folklore parlementaire, cette tension et les oppositions qui sont apparues en plein jour présentent le grand intérêt de montrer que le temps du consensus bioéthique est définitivement derrière nous. Les premières lois de bioéthique (au sens large du terme) ont été adoptées à l’unanimité (ou peu s’en faut). Cet unanimisme a été fragilisé lors du vote de la précédente loi en 2004. Les clivages sont désormais bien plus marqués non seulement entre les différents groupes mais souvent aussi au sein d’une même famille politique. Que l’UMP soit tiraillée entre les libéraux proches des libertaires et les rétro-progressistes (élément de langage personnel qui fera l’objet de développements ultérieurs…) cela n’étonnera finalement qu’assez peu. Qu’une députée verte, Mme Poursinoff, se démarque de ses collègues sur la question des mères porteuses (alors que les amendements sont présentés par N. Mamère!) et sur l’euthanasie est plus surprenant… L’opposition sera forte entre les promoteurs d’un progrès sans but en route vers un post humanisme qui prèfèrent le surhomme ou le maïs non OGM à l’embryon humain  (le progrès pour le progrès… sur le mode du chacun fait ce qui lui plait…) et les défenseurs d’authentiques valeurs humanistes. Ces valeurs ne sont pas nécessairement chrétiennes contrairement à ce que certains tentent de faire croire. Bientôt, certains députés vont être obligés de dire qu’ils ne sont pas cathos pour ne pas risquer d’être disqualifiés d’entrée de jeu. L’innénarrable Jean-Yves Le Déaut n’a-t-il pas clairement manifesté son regret de voir les convictions religieuses peser dans le débat. Quelle horreur !

Sur le fond, les interventions ont permis de confirmer ce que les discussions en commission et les amendements déposés laissaient à comprendre.

L’encadrement de la recherche sur l’embryon semble ne satisfaire en réalité qu’une minorité de députés. Un nombre non négligeable regrette l’admission de la recherche même à titre dérogatoire. Ils restent toutefois soulagés de voir la structure du texte maintenue :

[La recherche sur l’embryon humain est interdite]

Par dérogation au premier alinéa, ces recherches peuvent être autorisées lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès médicaux majeurs et lorsqu’il est impossible, en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons. La décision d’autorisation est également prise en fonction de la pertinence scientifique du projet de recherche et de ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Le principe reste l’interdiction de la recherche sur l’embryon. A titre dérogatoire, l’Agence de la biomédecine peut autoriser des recherches. Il reste deux difficultés majeures. D’une part, les conditions sont tellement élargies qu’il n’y a plus guère de projets de recherches qui ne pourront pas être autorisées. La principale attente vient de l’industrie pharmaceutique qui souhaite disposer de mini cobayes peu coûteux pour réaliser ce qu’on appelle du criblage moléculaire. Autrement dit, les cellules embryonnaires sont bombardées de produits chimiques en tout genre pour en tester l’efficacité, la nocivité ou l’innocuité. Faut-il rappeler que ces cellules sont obtenues par destruction d’embryons contrairement à ce que tentait de faire croire certains députés affirmant que la recherche ne portait pas sur l’embryon mais sur des cellules embryonnaires. Ils oubliaient de préciser que l’obtention de ces cellules nécessite la destruction des embryons. Il faut dire que les défenseurs de ces petits cobayes ne sont pas aussi écoutés que les défenseurs de cobayes animaux… D’autre part, seconde difficulté, le pouvoir laissé à l’Agence de la biomédecine. Lors des premiers débats, plusieurs députés ont rendu hommage aux travaux de cette institution. Certains sincèrement, bien d’autres davantage par politesse, avant de mettre en garde contre une prise de pouvoir bioéthique par l’Agence de biomédecine. En réalité, c’est déjà fait mais il s’agit de revenir sur la pratique qui s’est développée depuis cinq ans. En effet, l’Agence de la biomédecine ne respectait pas la loi en matière de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires même si cela n’a pas été retenu par le Tribunal administratif de Paris dans une décision étonnante et contestable. Comment espérer que cette agence respectera mieux la loi nouvelle alors qu’elle sortirait renforcée de cette dernière réforme et qu’aucune échéance ne serait programmée afin de procéder à une nouvelle révision (le principe d’une réforme périodique étant abandonné dans le texte actuel). L’inquiétude vient du fait que le texte approuvé en commission est contesté par plusieurs députés de différents partis, notamment MM Clayes et Vialatte : ils souhaiteraient que la recherche soit autorisée non plus à titre dérogatoire mais par principe. Ce serait inscrire la transgression dans la loi elle-même. Si d’un point de vue technique et juridique les dispositifs sont assez proches, ainsi que l’ont relevé plusieurs députés, du point de vue du symbole et de la théorie juridique, ce n’est pas du tout la même chose. La question de la recherche sur l’embryon et sur les cellules embryonnaires est liée à celle de la régulation démocratique de la bioéthique : ces questions seront évidemment parmi les plus discutées. On pressent que rien n’est encore joué sur ce point. L’enjeu est de taille car d’autres questions sont liées à l’orientation générale que prendra le texte sur cette question. On pense notamment à la question de la vitrification des ovocytes mais aussi à la congélation des embryons superbement dénoncée par le Député Jean Dionis.

D’autres questions ont été abordées lors de cette première partie de la discussion générale. On a ainsi vu resurgir la question de mères porteuses qui sera abordée à l’occasion des amendements déposés notamment par N. Mamère. Si cette proposition n’a aucune chance d’aboutir, elle est révélatrice d’une opposition forte entre le projet libertaire des verts et la conception de la famille durable, pour reprendre une idée de M. Hervé Mariton. Elle trouvera d’autres illustrations dans le débat notamment sur l’admission du transfert d’embryon post mortem. Les sujets sont complexes et les tentatives de manipulation seront nombreuses. Les défenseurs de la recherche sur les cellules embryonnaires tentent l’euphémisme : une cellule n’est pas l’embryon… le sophisme : l’utilisation des cellules adultes reprogrammées (obtenues sans destruction d’embryon) poseront peut-être des problèmes à l’avenir (alors que les cellules embryonnaires en posent aujourd’hui par leur obtention même… ce qui est très différent). Les amateurs apprécieront la tentative de démonstration de l’intérêt que l’embryon peut trouver à sa propre destruction en vue de la recherche.

(A suivre…)

Rappel : l’ADV propose à la signature une pétition qu’il n’est jamais trop tard pour signer pour inviter les parlementaires à mettre un terme aux dérives en matière de bioéthique…

 

3 commentaires leave one →
  1. Henry le Barde permalink
    11 février 2011 9 h 21 mi

    Article éclairant, merci pour ta vigilance (nocturne, entre autres !)
    Je le « delicious ».

    Et, même si c’est marginal, je suis intéressé par ton concept de rétro-progressiste !

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  2. Hugues Foucault permalink
    11 février 2011 16 h 46 mi

    Merci pour ce compte-rendu qui reflète bien la teneur des débats.
    L’ayant suivi en grande parti j’ai tout de même été « heureusement » surpris du positionnement d’un certain nombre de députés de la majorité présidentielle. cela me conforte, mais ce n’étais pas dur, dans mon engagement. Je me dis que si nous tous, défenseur de la vie, nous prenions par la main en militant sous quelques forme que ce soit, la cause de la vie avancerai à coup sûre.

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