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J’ai lu Identitaire (moi)

23 janvier 2017

Comme Jean-Pierre Denis, j’ai conservé la mauvaise habitude, un peu old school de ne parler que des livres que j’ai lus. C’est pour cela que je n’aborde qu’aujourd’hui un livre dont certains ont déjà rendu compte, parfois avant même de l’avoir lu… Ce livre c’est Identitaire d’Erwan Le Morhedec, sorti le 14 janvier dernier.

Beaucoup de catholiques ont du mal à taire l’angoisse qui les habite depuis des années face à l’affaiblissement de l’Église et leur déclin numérique. Il n’aura échappé à personne que cette angoisse est exploitée par des groupes souvent liés à l’extrême droite, qu’elle soit nostalgique de la chrétienté ou des anciens cultes nordiques ! L’essai d’Erwan Le Morhedec nous met en garde contre la tentation identitaire qui prétend répondre à l’angoisse par une nouvelle synthèse mêlant de manière vicieuse religion et politique. Vicieuse car le prix à payer sera une dénaturation du christianisme et une fracturation du corps social. La chrétienté est morte et il faut en faire le deuil. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons refaire la renaissance dont notre époque a besoin. Malgré son actualité, si j’ose dire, le livre d’Erwan a une portée qui dépasse les circonstances de ces derniers mois. On se tromperait à mon sens à limiter l’enjeu à la crise des migrants par exemple. Les hasards du calendrier font que l’ouvrage a été publié le même jour qu’un autre essai attaquant le Pape et ses prise de positions en matière d’immigration. C’est ainsi que naissent les polémiques mais il ne faudrait surtout pas que cette conjonction conduise à une interprétation réductrice d’Identitaire.

Feu la chrétienté

Nous assistons depuis quelques décennies à la fin de l’Église constantinienne, marquée par une étroite collaboration entre l’Église et l’Etat. C’est la fin du régime de chrétienté où temporel et spirituel sont liés si étroitement qu’ils paraissent parfois confondus. Le christianisme a paru pendant des siècles en tirer profit par l’influence qu’il s’imaginait avoir sur le temporel. La disparition de ce régime a laissé désemparées plusieurs générations de chrétiens et notamment de catholiques en France. Les changements sociaux et démographiques, notamment l’augmentation de la population musulmane, ont contribué à aggraver le trouble des catholiques de France qui sont près désormais de céder à la tentation identitaire.

Le ressentiment du mâle blanc lui fait redécouvrir les vieilles racines de la tentation identitaire et baisser la garde face à l’entrisme des groupes identitaires. Adoptant la stratégie de l’ennemi commun, les chrétiens en méconnaissent pourtant les risques.

Le ressentiment du mâle blanc qui se redécouvre presque par accident chrétien alors qu’il a souvent été porté à sacrifier à d’autres cultes plus virils est l’émotion première qui met en mouvement ce « mauvais génie du christianisme » (sous-titre de l’essai – v. p. 11, p. 51 et s.). Davantage attaché aux marques rituels du catholicisme qu’à suivre la personne du Christ, le catholique identitaire adopte une stratégie victimaire assez pitoyable mais tout à fait comparable à celle mise en œuvre par ceux qu’il s’est choisi comme adversaires. Il s’engage dans une concurrence victimaire assez méprisable (v. not. p. 86. – V. également la rhétorique phobique récupérée sous la forme de christianophobie, p. 90 not.) invoquant les mauvais traitements que la société actuelle infligent aux chrétiens et qu’ils se complaisent à requalifier en persécutions (v. not. p. 85) ! Ils se veulent virils mais ce ne sont que des pleurnicheurs (v. not. p. 81) !

Pour donner un peu de substance à cette démarche, l’identitaire dit catholique puise à des racines anciennes et bien connues et notamment dans la pensée maurrassienne (p. 35 et s.). « Politique d’abord » : la primauté du politique, marque de fabrique du catholicisme instrumental de Maurras, lui-même agnostique, pourrait être le slogan de nombre d’identitaires (v. not. p. 49-50. – V. F. Huguenin, L’Action Française : Perrin 2011). C’est en suivant cette voie que Maurras et l’Action Française ont attiré sur eux la condamnation de Rome. C’est en suivant cette voie que Marcel Lefebvre et son entourage sont sortis de l’Église. C’est en suivant cette voie que nos identitaires risquent d’emmener avec eux des catholiques un peu désemparés, nostalgiques d’une chrétienté idéalisée, face à un monde qui ne répond plus à leurs ordres. A nouveau, le vice qui affectait la pensée maurrassienne et qui pervertit les relations entre christianisme et politique est pour une large part commun à ceux que les identitaires se sont donnés comme adversaires (V. E. Perreau-Saussine, Catholicisme et démocratie. Une histoire de la pensée politique, préf. P. Manent, Cerf 2011, sur le rôle joué par les maurrassiens dans la préparation d’un terrain favorable au socialisme ; c’est une thèse discutée, on s’en doute…). L’attachement à un passé, pour une part, fantasmé, toujours idéalisé, fige l’identité chrétienne qu’ils prétendent assigner à la France et aux Français (les vrais Français, cela va sans dire…). L’identitaire pleure sur la disparition de la vieille chrétienté (p. 104) et devient disciple d’un « christianisme de l’extrême onction » (p. 105). Citant le frère Andrien Candiard, Erwan Le Morhedec nous rappelle que « [r]ien n’est moins chrétien que de serrer sans fin dans ses bras le cadavre de la vieille chrétienté » (p. 104 citant A. Candiard, Veilleur où en est la nuit ? Petit traité de l’espérance à l’usage des contemporains : Cerf 2016). Je ne suis pas sûr que l’histoire puisse nous donner quelque leçon que ce soit mais méditer les événements du passé, observer les mouvements sociaux et populaires, admirer les grandes figures du passé est certainement enrichissant et un élément essentiel de notre identité (V. la belle galerie de portraits établie par F. Huguenin, Les grandes figures catholiques de France : Perrin 2016). Toutefois, prétendre que cette identité soit déterminée exclusivement par cette histoire et plus spécifiquement par sa chrétienté est évidemment une erreur, sans doute une faute et, peut-être, une hérésie ! La tentation maurrassienne revient périodiquement ; nous n’en avons jamais tiré de grands biens et à nouveau l’essai d’Erwan Le Morhedec constitue à cet égard une mise en garde pleine de sagesse.

L’entrisme systématique dont font preuve les mouvements identitaires rend nécessaire cette prise de conscience. Erwan Le Morhedec aurait pu faire une grande enquête sociologique ou journalistique sur le phénomène, il se contente d’un certain nombre d’exemples tirés de l’actualité de ces derniers mois. Il est à peine nécessaire de rappeler comment le relatif succès de la Manif pour tous a pu être utilisé pour permettre aux identitaires de sortir de leur isolement (v. p. 58-59 et les références aux travaux de G. Brustier, Le mai 68 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ? : Cerf 2014). A vrai dire, je comprends les identitaires qui voient dans les catholiques se découvrant minoritaires (ce qui est discuté… je sais…) la persistance d’une force réelle dans la société française : je serais eux je miserais aussi davantage sur l’Église catholique que sur les druides et les prêtres d’Odin !

La tentation de l’ennemi commun est peut être devenue trop forte pour certains catholiques qui accepteront l’alliance avec les identitaires dans un souci d’efficacité. Certains seront même flattés d’être ainsi courtisés et désirés. Le risque est important : combien de fois a-t-on entendu ou lu depuis la sortie du livre (ou l’annonce de sa sortie…) d’Erwan qu’il se trompait de cible, qu’il ne fallait pas jouer ainsi contre son camp, que nous avons plus de points communs avec les identitaires qu’avec les musulmans etc. C’était prévisible (v. not. p. 63). Cette stratégie est faussement habile et réellement dangereuse pour les catholiques. Qui est assez naïf pour ne pas deviner qu’après avoir mené le « combat contre l’ennemi commun » (sic), les catholiques seront les prochaines cibles de leurs alliés d’aujourd’hui : ils seront soit éliminés à leur tour, soit dénaturés mais ils n’auront rien gagné sur le long terme. Face à la violence des identitaires, serons-nous amenés à l’avenir à nous désolidariser de certains actes (v. p. 34) ? à demander qu’il ne soit pas fait d’amalgame ? que le christianisme est une religion de paix (ibid.) ?

Sommes-nous vraiment dans le même camp ? La question même pourrait choquer lorsqu’elle s’applique au chrétien. D’une part, son camp devrait être uniquement celui du Christ, comme il devrait être sa seule référence « identitaire », indépendamment de toute référence ethnique ou raciale voire, dans une certaine mesure, culturelle (le christianisme n’est pas une religion occidentale). D’autre part, la rhétorique de l’ennemi est profondément vicieuse. La dialectique ami-ennemi développée par Carl Schmitt constitue sans doute un élément important d’une puissante théologie politique mais est-elle bien chrétienne ? Il serait également tout à fait naïf d’imaginer que les chrétiens évangélisent les identitaires alors que ce sont eux qui les « identarisent » (p. 68) !

Refaire la Renaissance

« Il ne suffit pas de refuser l’erreur pour penser juste » (Mgr J. Honoré) est sans doute une des formules préférées d’Erwan Le Morhedec. Il ne suffit pas de rejeter la tentation identitaire pour être dans le juste. Il faut d’abord savoir en quoi la démarche identitaire est vicieuse pour imaginer une autre voie.

Le vice de la démarche identitaire n’est pas aussi facile à déceler qu’on aimerait le croire. Qui peut être contre l’identité ? Elle est sans aucun doute indispensable (p. 127). N’est-elle pas ce qui nous fait tenir debout comme personne, en une seule pièce, avec un minimum de permanence dans le temps ? Ce qui fait que, pour le meilleur et pour le pire, je suis ce matin en me levant à peu près le même qu’hier soir en me couchant ? Lorsqu’elle est atteinte, ne suis pas blessé ? Lorsqu’elle est trop instable ou fracturée, ne suis-je pas un peu malade ? Il pourrait en être de même pour les groupes et notamment pour les peuples. A vrai dire, l’analogie n’est pas tout à fait satisfaisante et la pousser trop loin conduit sans doute assez facilement à la pathologie identitaire diagnostiquée par Erwan Le Morhedec. En quoi consiste-t-elle donc ? Si l’identité nous permet d’exister, la conviction identitaire, elle, nous empêche d’avancer (v. not. p. 95). Les identitaires provoquent une calcification du peuple et de l’Église. Affirmer que la France et les Français (les vrais Français, naturellement) sont catholiques et sont déterminés de manière définitive par cette identité est sans doute une pathologie de l’amour de la France et de l’Église : elle fige des peuples en marche dans une attitude qui interdit non seulement tout dialogue mais sans doute toute possibilité de répondre aux défis du temps présent (et je ne parle pas de l’avenir…). L’identité chrétienne, personnellement en tant que chrétiens et communautairement en tant qu’Eglise, n’a pas grand-chose à voir avec ce que les identitaires ont à l’esprit lorsqu’il pense identité.

Si les catholiques sont devenus minoritaires (ce qui à nouveau peut se discuter), ils devraient être une minorité créative comme le proposait Benoît XVI (v. p. 88) et non réactive (p. 89). Une minorité créative à la recherche de Dieu et poursuivant le bien commun. Erwan Le Morhedec rappelle dans son essai le discours de Benoît XVI aux Collèges des Bernardins adressé au monde de la culture lors de sa visite en France en 2008. A la source de la chrétienté, se trouve en particulier le monachisme or comme le relevait Benoît XVI à cette occasion :

leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu.

Plutôt que de tenter de revenir à la défunte chrétienté (V. également E. Mounier, Feu la chrétienté : Seuil 1950, rééd. DDB 2011 avec une présentation de G. Coq, spéc. p. 44 et p. 49), qui n’est finalement que l’accident historique né de cette recherche de Dieu, il faudrait revenir à la source première, à savoir la recherche de Dieu, qui permettra, à la Grâce de Dieu, de trouver les réponses adaptées à notre temps.

L’identité chrétienne est une identité de serviteur, à la suite du Christ (p. 139). La légitimité de l’action des chrétiens vient du bien qu’ils font et moins du mal qu’ils subissent (p. 87). Le chrétien défend le bien commun et non son bien communautaire (p. 30). Contre la fracturation de la société, la violence, l’activisme monomaniaque (même si on ne peut pas tout faire et qu’il faut bien choisir ses missions…), le chrétien promeut la paix civile, tente de briser le cercle de la violence, affirme que tout se tient : il défend la vie de la conception à la mort naturelle en passant par la vie du travailleur, du pauvre, du malade et de l’étranger. Certains trouveront à redire à l’utilisation de la notion de bien commun ; elle est difficile à définir en particulier dans une société pluraliste. Je l’aime bien malgré tout et je tends à penser que l’insistance d’Erwan Le Morhedec sur cette notion n’est pas seulement l’illustration de son indécrottable fidélité à l’Église mais aussi (il me corrigera si je me trompe) une façon de nous inviter à rechercher d’abord ce qui nous est commun, et qui unit, et non ce qui nous divise; tout au moins si nous sommes d’accord pour faire ce qui est en notre pouvoir pour échapper à la guerre civile.

Parce que nous partageons ce bien commun, aussi difficile soit-il à déterminer, nous avons le devoir d’en être les serviteurs. Cela devrait nous prévenir contre toute tentation de retrait du monde, d’abandon de l’action dans la société, y compris sous sa forme politique (p. 107). Le chrétien devrait trouver sa juste place : ni restauration de la chrétienté, ni sécession quiétiste. La disparition de l’Église constantinienne nous donne l’occasion d’agir différemment et en toute liberté. Evitons une controverse stérile entre stratégie de l’enfouissement, qui a été un échec manifeste, et stratégie identitaire, qui n’est que le vice inverse de la précédente. Comme l’affirme S. Hauerwas :

La disparition de la chrétienté nous offre une chance de regagner notre liberté de proclamer l’Evangile d’une façon qui n’est pas possible lorsque la tâche sociale de l’Église est d’être l’un des nombreux auxiliaires dociles de l’État (S. Hauerwas, W.H. Willimon, Etrangers dans la cité : trad. fr. Cerf 2016, p. 85, cité dans Identitaire, p. 136, v. également p. 137 sur les possibles bénéfices de la sécularisation).

Certains se souviendront peut-être que c’était aussi une idée de Mounier reprenant lui-même le constat de Chenu voyant dans l’histoire des « chances historiques de la grâce » (E. Mounier, Feu la chrétienté, p. 101). Nous ne devons rien attendre des institutions (p. 107). En effet. Les institutions du monde sont insignifiantes ? Prenez-les comme elles sont ! Et pénétrez-les d’esprit chrétien. Ce pourrait être du Koz mais c’est à nouveau du Mounier (E. Mounier, Feu la chrétienté, p. 61) !

Certains trouveront que les propositions d’Erwan Le Morhedec ne sont pas très précises. Il est vrai qu’elles ne constituent pas le programme d’un parti et c’est heureux. Pour ceux qui ont un peu de courage (et souvent le courage me fait défaut pour ma part), elles invitent surtout à écouter ce qu’enseignent l’Église et le Pape, y compris François ! Servir comme le Serviteur.

Notre époque donne des signes évidents d’épuisement spirituel, éthique et moral et notre propre désertion n’y est pas pour rien… Elle exige une nouvelle Renaissance, à la recherche du Bien, du Beau, du Juste (p. 147).

Dans sa conclusion, Erwan Le Morhedec écrit « Est-ce difficile ? Ça l’est… [mais le] christianisme n’est pas une parure pour temps de paix » (p. 157). Les catholiques doivent assumer leur identité chrétienne sans céder à la tentation identitaire ; ils appartiennent à plusieurs communautés (Eglise et Patrie notamment) sans qu’aucune n’absorbe l’autre et sans céder à la tentation communautaire. Ils doivent appartenir à la Vérité, sans prétendre se l’approprier (c’est fini le fameux « je ferai la volonté de Dieu, qu’Il le veuille ou non ! »). Le monde a besoin périodiquement d’une Renaissance (V. E. Mounier, Refaire la Renaissance, éditorial du premier numéro d’Esprit en 1932 repris dans Refaire la Renaissance, Seuil 2000). Tout cela va bien au-delà des questions d’actualité soulevées par le terrorisme et la crise des migrants.

Lisez Identitaire et vous comprendrez.

Le nouveau malaise français (2) : L’insécurité culturelle

11 décembre 2015

Insécurité_CulturelleLe dernier livre en date de Laurent Bouvet est moins académique que Le sens du peuple chroniqué dans mon billet précédent mais il n’est pas moins intéressant. Il développe le thème de L’insécurité culturelle, expression utilisée également par Christophe Guilluy qui en revendique d’ailleurs la paternité (L. Bouvet, L’insécurité culturelle : Fayard 2015).

Le constat de départ prolonge le diagnostic formulé dans Le sens du peuple : le populisme est le témoignage d’une crise politique provoquée par la réaction des classes populaires face à l’insécurité culturelle dans laquelle elles vivent après des années d’abandon par la gauche et la droite et plus généralement par les élites Lire la suite…

Le nouveau malaise français (1) : le sens du peuple

7 décembre 2015

9782070136407

Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ! Nombreux sont ceux qui refusent de faire un diagnostic honnête de l’état de la société française par peur de ce qu’ils y découvriraient. Ce déni de la réalité sociale conduit à jeter l’anathème sur des auteurs tels que Laurent Bouvet ou Christophe Guilluy. Je vous laisse juge de la pertinence des propos du premier à travers le compte rendu de ses deux derniers livres. J’apprécie le style de Laurent Bouvet, dans ses livres et sur les réseaux sociaux ; je suis séduit par son analyse réaliste, fine et sans concession. Cependant, si le diagnostic me paraît très juste, je n’adhère pas à une large part de ses prescriptions et notamment à son esprit laïc trop étroit à mon goût. Ceci étant dit, j’espère que ma présentation vous donnera envie de lire ses ouvrages pour alimenter votre propre réflexion. Commençons par Le sens du peuple (L. Bouvet, Le sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme : Gallimard 2012). Lire la suite…

Touche pas à ma crèche !?

30 novembre 2015

Entre le boeuf et l'âne grisAprès les attentats du 13 novembre 2015, certains ont eu la géniale idée de proposer de lutter contre le terrorisme islamique avec des armes à la puissance avérée : plus de laïcité et moins de christianisme. Nombreux sont ceux qui ont été subjugués par l’à-propos et l’originalité de la proposition qui ne tardera certainement pas à faire ses effets avec l’appui de l’état d’urgence pour tous. Lire la suite…

Libertés et sécurité dans un monde dangereux

16 novembre 2015

Après les attentats de Sécurité_Libertévendredi, j’ai ressorti un livre lu il y a quelque temps mais que j’avais besoin de parcourir à nouveau comme un antidote à la déraison qui nous guette dans ces moments, un peu comme la poésie est un antidote à la laideur et l’amitié un antidote à la haine. Ce livre c’est Libertés et sûreté dans un monde dangereux de Mireille Delmas-Marty (M. Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux : coll. La couleur des idées, Seuil 2010). Je me suis décidé à en faire la petite fiche de lecture que voici, pour moi essentiellement mais que je vous offre en espérant qu’elle vous aide aussi à réfléchir au-delà de l’émotion violente qui nous a saisis et laissés dans un état de sidération inconnu. Lire la suite…

La banque en bande dessinée (1)

9 février 2015

Tome-1-de-la-banqueLa banque ? Ce n’est pas un titre de bande dessinée ! Et bien si ! La banque (chez Dargaud) : sur un scénario de Pierre Boisserie et de Philippe Guillaume, Julien Maffre a fait surgir les images d’un monde flottant peu fréquenté par les adeptes du 9e art : le monde de la finance. Lire la suite…

Timbuktu ou la tragédie de l’islamisme

17 janvier 2015

Timbuktu est à mon sens le plus mauvais roman de Paul Auster. Cette fable humano-canine m’a d’ailleurs conduit, sans que ce soit vraiment réfléchi, à ne plus suivre aussi assidûment l’œuvre de l’écrivain américain. Le mythe de Tombouctou reste gravé dans l’imaginaire de tous les enfants qui ont un peu rêvé d’aventure avant de découvrir le costume cravate mais le moins qu’on puisse dire c’est que le révision austérienne de cette contrée de notre imaginaire ne m’a pas fait rêver un instant. Pourquoi en parler alors, me direz-vous, d’autant que ce livre est sorti il y quinze ans et qu’on ne m’a rien demandé ? Et bien tout simplement parce que j’avais envie de vous parler de l’autre Timbuktu, celui d’Abderrahmane Sissako qui a signé ici un vrai grand film. Mais, je ne sais pas si on peut encore en parler en ces temps de défense de la liberté d’expression car selon le grand critique cinématographique Jacques-Alain Benisti (accessoirement maire de Villiers sur Marne où le film a été déprogrammé avant d’être reprogrammé…), le film pourrait être vu comme une apologie du terrorisme islamique ! Lire la suite…

N’ayons pas peur ! Restons libres !

12 janvier 2015

J’ai tenté bien des fois depuis quelques jours d’écrire ce billet. Je l’ai tourné et retourné dans ma tête en diverses occasions mais jamais je n’ai trouvé le ton juste. Je devrais sans doute m’abstenir et pourtant, je vais tenter de vous dire une chose ou deux que d’autres diraient bien mieux. De toute façon, seuls quelques égarés du web lisent encore ce blog mort©. Lire la suite…

Ce que l’argent ne saurait acheter

25 décembre 2014

Nous vivons en ce moment une grande expérience économique et philosophique voire pour une partie d’entre nous une expérience spirituelle. C’est la fête de Noël, pendant laquelle les chrétiens célèbrent la naissance de Jésus Christ, fils de Dieu, incarné en notre humanité. Pour beaucoup, c’est surtout la fête familiale au cours de laquelle est offerte une masse impressionnante de cadeaux. Si la consommation frénétique qui nous touchent ces jours-ci n’est pas sans poser quelques questions, il ne faut pas oublier que la pratique de l’échange des cadeaux reste une belle expérience humaine dotée d’une valeur propre. Pour l’économiste standard, elle reste un mystère : comment imaginer qu’une personne puisse anticiper, avec quelque chance de tomber juste, l’utilité qu’une personne tirera d’un présent ? Joel Waldfogel, professeur d’économie à l’Université de Pennsylvanie, a étudié pour nous ce mystère de la rationalité humaine que sont les cadeaux de Noël. Grâce à Waldfogel nous savons que les cadeaux constituent une perte sèche. Contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, ce n’est pas seulement ni même spécialement la gratuité de la transaction qui est contestable mais la pure et simple inefficacité de la pratique des cadeaux. Selon Waldfogel, « la valeur des biens qui nous sont offerts est inférieure de 20%… à celle des articles que nous nous achetons nous-mêmes » (J. Waldfogel, You shouldn’t have. The economic argument for never giving another gift : Slate. – V. également du même auteur, The Deadweight Loss of Christmas : The American Economic Review 1993, p. 1328). Pour dire les choses plus simplement et plus crument, il serait bien économiquement plus efficace de s’offrir de l’argent que des cadeaux. A défaut,  ne voit-on pas se développer le marché des chèques cadeaux et de la revente des cadeaux (Les Echos de Noël) ?

Pourtant chacun perçoit bien qu’au-delà de l’utilité économique, un cadeau intègre des valeurs humaines et, à vrai dire, morales qui ne relèvent pas de la logique marchande. Autrement dit, il y a des choses que l’argent ne saurait acheter : Ce que l’argent ne saurait acheter, c’est précisément le titre du livre de Michael J. Sandel que les éditions du Seuil viennent d’avoir la bonne idée de traduire en français (M.J. Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter. Les limites morales du marché : préf. J.-P. Dupuy, Seuil 2014).

Sur le site de la ProcureCe que l'argent ne saurait acheter<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br />
                : les limites morales du marché

Peut-être cela contribuera-t-il à faire connaître un philosophe trop peu connu en France. Il est pourtant un de ces penseurs de la communauté, même s’il ne se reconnait pas dans le courant communautarien, un de ces penseurs qui permet de repenser voire de résister au libéralisme (V. F. Huguenin, Résister au libéralisme. Les penseurs de la communauté : CNRS éditions 2009, qui fait d’ailleurs régulièrement référence à Sandel). Sa pédagogie et son style le rendent, en outre, extrêmement abordable : il s’agit d’une philosophie concrète, avec assez peu de références (ce que certains regretteront peut-être) élaborée à partir de cas pratiques collectés au fil des ans dans la presse et non de cas d’école : faut-il payer les écoliers pour lire davantage de livres ? Peut-on envisager de payer des femmes droguées pour être stérilisées ? Peut-on payer quelqu’un pour prendre sa place dans une file d’attente à un concert gratuit ou à une audition parlementaire ? De manière générale, quelles sont les conséquences de l’intégration dans la sphère marchande d’un bien ?

Sandel identifie deux séries d’arguments qui peuvent faire obstacle à une telle intégration. D’une part, l’argument tiré de l’équité conduit à objecter que la monétisation de certains biens génère davantage d’inégalités soit parce que les moins aisés n’auront pas accès à certains biens (tous les citoyens ne pourront pas accéder à l’audition parlementaire alors qu’un lobbyiste pourra payer un SDF pour attendre à sa place) soit parce que le consentement de certains contractants ne serait pas réellement libre (quelle est la liberté d’une personne qui vend un rein ou d’une femme qui consent à porter l’enfant d’une autre ?). En outre, l’extension de la sphère marchande rend sans cesse plus difficile la vie des moins riches : les pauvres sont ainsi plus pauvres quand tout s’achète et se vend ; ce qui explique peut être en partie le développement du sentiment d’inégalité (V. le succès de Piketty). D’autre part, il est possible de contester l’intégration dans la sphère marchande de certains biens dès lors qu’elle aurait pour effet d’en modifier la nature, autrement dit de le corrompre. La première objection relève pour l’essentiel d’une logique du consentement, consentement éclairé donné dans des conditions équitables, tandis que la seconde « ne fait pas appel au consentement, mais à l’importance morale des biens en jeu » (M.J. Sandel, p. 183). Le développement de la logique marchande dans tous les domaines de la vie sociale provoque un changement profond dans nos comportements et dans notre perception de la vie en société : nous passons d’une économie de marché (le marché est un instrument souvent efficace d’allocation de ressources rares) à une société de marché, où les normes non marchandes sont de plus en plus souvent évincées. L’exemple de la crèche israélienne est une illustration parmi d’autres des conséquences de ce mouvement. Pour limiter les retards en fin de journée, une crèche a eu l’idée d’instaurer une pénalité pour les parents retardataires. Résultat : le nombre de retards a augmenté, les parents analysant la pénalité comme le coût d’un service. Au bout de quelques mois, la crèche a fait marche arrière mais il a fallu plusieurs mois pour que les mauvaises habitudes se perdent… Cet exemple, comme de nombreux autres dans le livre de M.J. Sandel, « montrent que les incitations financières et d’autres mécanismes marchands peuvent produire l’inverse de l’effet escompté en évinçant les normes non marchandes – que la rétribution d’un certain comportement le raréfie parfois au lieu de le rendre fréquent » (p. 184). Certains biens ne s’épargnent pas : M.J. Sandel se demande ce que deviendrait un couple où les époux économiseraient leur amour conjugal pour le jour où ils en auraient besoin ! Le civisme, l’amitié, l’amour se multiplient quand ils se donnent !

L’île au Trésor : la banque et les finances publiques

29 août 2014

euroVous vous souvenez, au Bourget, un dimanche de janvier 2012, François Hollande qui est encore candidat à la présidence de la République proclame « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage[…], il ne sera pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance » ! La lutte contre la finance devait passer notamment par la séparation des activités dites spéculatives des activités traditionnelles (collecte des dépôts et octroi de crédit) au sein des groupes bancaires remettant en cause le modèle français dit de la banque universelle. Lors d’un récent colloque organisé par Mustapha Mekki et nos centres de recherches respectifs sur le thème du lobbying responsable, j’ai eu l’occasion d’exposer les grandes lignes de l’action de lobbying menée par le banques pour entraver le projet de séparation bancaire en 2013. Parmi les leviers d’influence, il en est un qui semblait assez méconnu : il s’agit des liens entre la banque et l’Etat moderne, au sens large du terme. Ces liens ont permis une plus grande proximité entre le pouvoir et la finance, notamment en France pour de multiples raisons tenant tant à la formation des élites qu’à une longue période de nationalisation des banques mais aussi à une grande familiarité entre l’administration des finances publiques, notamment le Trésor, et la Banque de France, d’une part, et la direction des établissements de crédit, d’autre part (V. A. de Tricornot, M. Thépot, F. Dedieu, Mon amie c’est la finance ! : Bayard 2014 p. 63 et p. 137 et s.). De ce point de vue, il apparaît évident que la sociologie du secteur bancaire et particulièrement de son management est aussi déterminante que l’histoire économique, le droit et la politique.

En particulier, il ne faut pas négliger la proximité entre le trésor et le management des grandes banques françaises. Ces élites à la française sont formées dans les mêmes écoles et ont souvent travaillé ensemble avant de prendre qui des responsabilités au Trésor, qui des postes de directions dans la banque. Le passage de l’un à l’autre n’a évidemment rien d’exceptionnel ; bien au contraire, un trésorier atteignant 40 ans commence à devenir rare tant la fuite vers la finance est importante et précoce. Il n’est donc pas surprenant qu’une part importante de l’activité de lobbying soit consacrée à convaincre le Trésor et ses agents de la pertinence du point de vue des établissements de crédit. Naturellement, lors de l’élaboration du projet de loi de séparation, le Trésor a été une cible privilégiée du lobbying bancaire et avec quelque succès, semble-t-il, personne n’ayant réellement envie de mécontenter un potentiel futur employeur…

Pour être franc, contrairement à beaucoup, je ne suis pas persuadé que le lobbying soit nécessairement une mauvaise chose et je ne suis pas sûr non plus que la séparation des activités bancaire dites classiques et des activités dites spéculatives soit la solution miracle. En revanche, la familiarité excessive qui existe entre certains corps de l’Etat et les banques voire les grandes entreprises en général ; le mercenariat financier qui incite des jeunes brillants à « passer par le Trésor » comme par un tremplin vers d’autres cieux plus lucratifs… tout cela soulève de sérieuses difficultés. Faut-il rappeler qu’Emmanuel Macron s’est chargé lui-même de dissuader Karine Berger de déposer des amendements qui auraient pu redonner un peu de substance à l’idée de séparation ? Ancien de l’Inspection des finances, puis gérant associé chez Rothschild avant de rejoindre l’Elysée auprès de François Hollande, notre nouveau Ministre de l’économie est manifestement quelqu’un de brillant, intelligent et à bien des égards séduisant mais il est aussi l’exemple même de ce système français qui reste le front collé au mur qu’il s’est pris il y a déjà des années (car non nous n’allons pas dans le mur ; nous y sommes depuis des années). Comme l’a très bien résumé PEG dans son article sur Atlantico :

Macron, c’est le socialisme moderne, de Bercy dirigé depuis les grands groupes financiers. Les études brillantes, l’ENA, l’inspection des finances, Rothschild, puis l’Elysée : c’est ce moule de l’élite française qui crée le corporatisme qui étouffe l’économie française.

De manière générale, le lobbying responsable peut être une voie à explorer afin d’assurer davantage de transparence et assurer une meilleure traçabilité de la décision publique. J’ai toutefois tendance à penser que cela reste largement illusoire. Plus techniquement, on ne peut que regretter que le législateur n’ai pas saisi l’occasion du vote de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique pour renforcer certaines règles relatives au pantouflage. Peut-être que cela aurait permis de réduire l’efficacité de certaines stratégies de nos élites. Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron ne mérite sans doute pas autant de critiques, ni autant d’éloges : il est seulement l’enfant un peu plus doué que les autres d’un système à bout de souffle.